F17: Le multiplicateur global

Fiche N°17 : Le multiplicateur global

 

 

 

Introduction

La notion de multiplicateur est d’origine keynésienne. Nous en avons parlé sur ce site et il y a même un document qui explique son mécanisme. Le principe de base, qui est que si des revenus supplémentaires sont créés, ces revenus vont circuler dans l’économie, reste tout à fait valable et il est conforme à ce qu’on explique dans la littérature économique. Cependant, sous cette forme, il souffre de plusieurs défauts. Le premier est qu’il s’applique à une dépense « supplémentaire Â» et non à l’ensemble de l’économie. Le second est que les « fuites Â» à chaque tour sont imprécises et incomplètes. L’épargne qui est en théorie soustraite du circuit, est en grande partie utilisée pour investir, ce qui à l’évidence n’est pas un retrait du circuit. Par ailleurs, il y a des fuites « négatives Â» sous forme d’endettement des agents, qui leur apportent des revenus supplémentaires. Dans ce qui suit nous présentons donc une forme nouvelle du multiplicateur, le multiplicateur « global Â», qui devient ainsi selon nous plus opérationnel, et qui en particulier supprime les défauts évoqués ci-dessus[1].

 

Le principe

Soit yt le revenu par unité de temps au temps t. Ce revenu « tourne Â» (selon la même conception que dans le multiplicateur classique) fois par unité de temps. Mais notons que cette circulation des revenus s’accompagne d’une circulation égale et en sens inverse de la monnaie qui sert aux paiements des transactions. Ce qui se formalise par

Dans cette relation, l’indice t indique que les variables sont relatives à la période t. La variable y couvre ce que nous appelons revenu national sur la période. C’est la somme de tous les revenus élémentaires. En comptabilité nationale cette variable est très proche du PIB, mais elle évoque mieux que lui une circulation des revenus. La variable m est la masse monétaire de monnaie circulante moyenne sur la période (comptes à vue, billets et pièces). En comptabilité nationale c’est M1. Bien que l’ensemble de M1 ne « tourne Â» pas à la même vitesse (certains dépensent vite la monnaie disponible, d’autres thésaurisent un certain temps) il s’agit de l’agrégat monétaire qui est le plus proche de la masse de monnaie qui finance les transactions sur les biens et les services.

Nous considérons comme période l’année calendaire, mais ceci n’est pas obligatoire.

La masse monétaire mt provient évidemment de la masse monétaire de la période précédente, mt-1. Mais celle-ci n’est pas transmise à l’identique car elle est affectée par les mouvements d’épargne et d’endettement. Nous appelons « Ã©pargne nette Â» la différence entre l’épargne et l’endettement. Si l’épargne nette de tous les agents est positive, un montant équivalent de monnaie est détruit. Si elle est négative (plus d’endettement que d’épargne) alors de la monnaie est créée pour le même montant. Nous supposons que cette épargne nette est proportionnelle au flux de revenus y, avec un ratio  . D’où la relation suivante

On remarque que la génération (ou destruction) monétaire est supposée se faire dans la même période t que la circulation de cette monnaie. C’est une approximation dont nous reparlerons.

La relation (1) donne et ce qui reporté dans (2), nous donne

 

Cette relation donne la croissance du revenu national. Les deux ratios qui figurent dans cette formule sont d’une part le ratio des vitesses de circulation successives, d’autre part le ratio de la création de revenus. Le premier nous dit que la croissance est directement proportionnelle à l’augmentation de la vitesse de circulation. Le deuxième nous dit que si est négatif (endettement net) ce ratio influe positivement sur la croissance, et inversement s’il est négatif (épargne nette positive).

 

Application aux données macroéconomiques

Si nous disposons de mesures de Y et de M pour les différentes périodes, l’équation (1) permet alors facilement de calculer et . Puis, ayant ces deux valeurs, il est possible de calculer par (3).

 

 

 

Les figures 1 à 3 donnent les résultats de 1981 à 2010. La figure 1 montre l’évolution du taux de crois¬sance du revenu national Y.

Cette période est caractérisée par une chute du taux de croissance du PIB nominal, principale¬ment à cause de la désinflation. Ensuite cette croissance nominale est entre 2 et 5%, à l’exception de 2009 année de récession (-2%).

La Figure 2 montre la vitesse de circulation de la monnaie et des revenus.

 

On observe une remontée de 4 à 4,5 au début des années 1990, due au perfectionnement des moyens de placements à vue et à l’intérêt de ces placements par leurs taux élevés. La descente à laquelle on assiste depuis (de 4,5 à 3,5 environ) est due à la baisse des taux d’intérêt créditeurs et à la rémunération de certains comptes à vue. Notons également que les français n’utilisent plutôt moins de billets que d’autres citoyens européens.

 

 

La figure 3 montre le coefficient d’épargne nette de l’ensemble de l’économie française. Comme il se doit, il est négatif, car c’est la condition d’une croissance positive. On remarque qu’il est assez fluctuant entre 0 et -3%, avec une incursion en territoire positif en 2008. Il est intéressant d’examiner cette période 2007-2010 qui a vu un « accident Â» de croissance exceptionnel.

 

 

2007

2008

2009

2010

PIB

1886792

1933195

1889231

1932801

%PIB

0,0493

0,0246

-0,0227

0,0231

M1

532 953

519 595

536 119

585 409

w

3,54

3,72

3,52

3,30

l calculé

-0,0138

0,0069

-0,0087

-0,0255

 

On observe la récession nominale en 2009. On observe aussi qu’en 2008 la masse monétaire a diminué mais que la vitesse de circulation a augmenté ce qui a atténué le choc. Enfin, on voit que l’épargne devient positive en 2008 mais la récession est en 2009. Nous rencontrons ici les limites de notre schématisation et notamment de la période annuelle. On se souvient que la crise est survenue en fin d’année 2008. Avec une vitesse de rotation de 3 à 4 fois par an, une augmentation de l’épargne peut avoir un effet retardé de quelques mois. La remontée de l’épargne a donc été trop tardive en 2008 pour avoir un effet cette même année. De même en 2009 elle est redevenue négative probablement en cours d’année (notamment par l’endettement massif de l’Etat) de sorte qu’elle est globalement faiblement négative cette année-là.

 

La liaison avec les soldes financiers des secteurs

Nous avons parlé dans la fiche n°16 des soldes financiers des secteurs et notamment nous avons écrit (en considérant le solde extérieur comme positif en cas d’entrées positives)

Solde Privé + Solde Etat – Solde Extérieur = 0

Le solde financier d’un secteur étant constitué de son épargne financière nette et de sa thésaurisation, on peut écrire

Dans cette relation, l’épargne financière privée ainsi que le déficit de l’état n’incluent pas leurs disponibilités en monnaie liquide mais seulement leurs créances et dettes et représente l’incrément de masse monétaire.

On peut alors rapprocher l’égalité (5) de notre équation (2), et on s’aperçoit (avec EFP = Epargne Financière Privée, DB = Déficit Public et ECH = Solde Extérieur, efp=EFP/y, db=DB/y et ech=ECH/y) que

Ou, en rapportant tout au PIB y

Ainsi, acquiert une signification plus concrète en attribuant à chaque secteur de l’économie une capacité à générer des revenus.

 

Exemple d’application à la politique économique

Pour simplifier les choses, nous supposons que la vitesse de circulation reste constante d’une année sur l’autre, même si on cherche à influer sur son niveau. D’après les définitions du multiplicateur, le taux de croissance en valeur devient alors

D’où

 

Si actuellement nous sommes en croissance 0 en volume, soit environ 2% en nominal, et qu’on suppose  = 3,5 ceci signifie d’après (6) que vaut – 0,0056.

Si on veut 5% de croissance en valeur soit =0,05, alors d’après (6)  = – 0,0136. Ceci signifie que doit diminuer de 0,8% de PIB soit aujourd’hui environ 15 milliards. Ceci peut paraître modeste. Mais d’une part la croissance visée (3% en volume) n’est pas énorme, d’autre part, il s’agit d’un supplément d’endettement global, c’est-à-dire qu’il englobe tous les agents. Si c’est l’Etat qui s’endette pour ce montant, cela suppose que les autres agents n’aillent pas en sens inverse, c’est-à-dire que les ménages ne reconstituent pas leur épargne, que les entreprises n’investissent pas encore moins. Et enfin, c’est un montant sur année pleine, c’est-à-dire supposé fait au 1er Janvier, sinon on ne profite pas des 3 ou 4 rotations dans l’année. Dans la réalité, l’Etat doit continuer son effort sur plusieurs années, et n’en voit le résultat qu’à partir de la 2ème année.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] La description dans ce document veut être la plus simple possible, les lecteurs qui voudront avoir plus de détails pourront lire le document « Le mécanisme du multiplicateur revisité Â» sur ce site.

Fiche N°16 : Les soldes financiers des secteurs

 

Les « secteurs Â» utilisés ici sont des sous-ensembles de l’économie française qui sont agrégés pour mettre en évidence certaines grandeurs. (Lire la suite…)

Fiche n°15 : Les parités de pouvoir d’achat (PPA)

Fondamentalement, une « Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) ou « Purchasing Power Parity Â» (PPP), est un taux de change. Elle peut donc avoir toute valeur positive. (Lire la suite…)

Fiche N° 14 : Revenus, pouvoir d’achat et niveau de vie des ménages, définitions utiles.

Revenu disponible brut (RDB) des ménages ou, plus simplement, revenu disponible (RD).

Le revenu disponible d’un ménage comprend (Lire la suite…)

Fiche N° 13 : Une monnaie commune, comment ça marche ?

Nota : Cette fiche a été modifiée le 13/11/2013

La situation de la Grèce a montré les limites de la monnaie unique, qui ne peut laisser place à la nécessaire variation des dynamiques monétaires différentes de chaque pays (voir notre éditorial sur le sujet). La présente fiche définit donc un autre système, qui permet ces dynamiques différentes. Il peut s’appliquer entre l’Eurozone et les autres pays de l’Europe, ou entre l’Europe et une autre zone monétaire dans le monde, ou encore dans l’Eurozone, pour remplacer la monnaie unique, cas quelque peu extrême. Tout ceci en attendant une mise en œuvre mondiale, qui serait la meilleure solution pour tous. Ce système s’inspire de celui préconisé par P. Davidson en 1994.

 

L’objectif et le principe

La monnaie commune doit permettre à chaque pays de mener la politique monétaire de son choix, sans qu’il puisse nuire à ses partenaires. La monnaie commune doit par ailleurs réaliser l’équilibre des balances des paiements, en donnant la charge de l’équilibrage aux pays excédentaires, qui ont seuls les moyens de le faire.

 

La mécanique

1) Les pays participants instituent une monnaie commune, gérée par la Banque Centrale de la Zone Monétaire ainsi créée (BCZ).

2) Chaque pays participant utilise sur son territoire sa propre monnaie. La banque centrale de chaque pays s’engage à changer sa monnaie nationale contre la Monnaie Commune, qu’elle obtient auprès de la BCZ si elle en manque, et s’arrange pour fournir des devises étrangères à ses résidents en les achetant aux autres pays de la zone contre de la Monnaie Commune.

Il n’y a donc pas dans cette zone de problème de réserves de changes. Tous les déséquilibres en devises entre membres se constatent sur les comptes centraux en Monnaie Commune. Par ailleurs, les monnaies nationales n’étant convertibles qu’en Monnaie Commune, il n’y a pas de marché libre des changes entre les devises des participants, les taux de change sont fixes (voir plus loin). Aucune spéculation n’est donc possible sur ce terrain. De plus les mouvements des devises nationales sont contrôlables par le pays concerné.

3) Si la Monnaie Commune est mondiale, elle n’est détenue que par les banques centrales et non par le public (comme les DTS aujourd’hui). Comme il n’y a pas de marché des changes entre les monnaies nationales, toute spéculation est supprimée sur les monnaies nationales.

Si la Zone Monétaire n’est pas mondiale, les échanges entre pays de la zone et les pays extérieurs, qui se font en monnaies nationales, nécessitent la détermination d’un cours des changes entre la monnaie Â« en zone Â» et la monnaie « hors zone Â». La meilleure solution pour l’obtenir est de coter la monnaie commune sur les marchés des changes (en tant que panier de monnaies, comme l’était l’ECU à son époque, mais non comme monnaie véritable). Les monnaies « en zone Â» ont alors un cours qui découle d’une part des rapports fixes entre ces monnaies et la monnaie commune, d’autre part du change flottant entre la monnaie commune et les monnaies « hors zone Â».

Par ailleurs la spéculation reste possible sur la monnaie commune cotée sur les marchés. Il est donc essentiel que la zone monétaire soit globalement excédentaire, afin d’apparaître comme une monnaie forte, et pour que la banque centrale ne manque pas des devises externes nécessaires au commerce des pays membres.

4) Les taux de conversion initiaux entre la Monnaie Commune et chaque monnaie de la zone sont fixés par accord entre les participants pour refléter au mieux la compétitivité de chaque nation. Les points 7 et 8 traitent de la révision de ces taux.

5) Les contrats entre agents économiques continuent de se régler en monnaies nationales, tel que permis par les lois locales et l’agrément des parties.

6) Une mécanique à seuil oblige un pays excédentaire(1) à dépenser son excédent de 3 manières

– acheter des produits ou investir dans un pays débiteur,

– fournir une aide financière directe à un pays débiteur (don).

Si ces excédents n’ont pas été dépensés ou donnés dans un temps prédéfini, alors la BCZ confisque les dits excédents et les répartit entre les membres déficitaires.

Ce point est fondamental. Il assure qu’aucun pays, en épargnant trop, ne mette les autres en déficit et les force à freiner leur demande, déprimant ainsi la demande globale. De plus, il place la charge de l’ajustement sur le pays excédentaire, qui seul en a les moyens.

7) Les taux de change entre les monnaies nationales et la Monnaie Commune sont fixes, mais on peut instituer un système de révision des taux de change qui reflète les variations d’inflation ou de coûts salariaux, ou tout autre paramètre qui permet de conserver le pouvoir d’achat de la Monnaie Commune dans le pays concerné. De cette manière tous les pays possédant de la Monnaie Commune sont assurés que sa valeur ne se déprécie pas en pouvoir d’achat.

8) Si un des pays membres est au plein-emploi, et a un déficit persistant, c’est qu’il vit au-dessus de ses moyens. Si c’est un pays pauvre, il peut être justifié de continuer à le subventionner. Mais si c’est un pays riche, c’est un « passager clandestin Â», et il est mis dans l’obligation de dévaluer sa monnaie par rapport à la Monnaie Commune par palier, ce qui a pour effet de renchérir ses importations, de rendre ses exportations moins chères, et surtout de diminuer son revenu réel jusqu’à ce que sa balance commerciale soit équilibrée. Enfin, si le déficit des paiements persiste malgré une balance commerciale positive, alors c’est que la dette est trop importante et des négociations doivent s’engager pour faire cesser cette situation, soit par rééchelonnement, soit par moratoire partiel ou total.

Dans le système ci-dessus, les participants ont des balances des paiements toujours équilibrées entre eux, on supprime ainsi le mécanisme pervers qui bride l’économie mondiale, dans lequel les excédentaires accumulent des réserves tandis que les déficitaires sont contraints à la récession et freinent la demande globale.

Par ailleurs chaque pays participant garde la liberté de sa politique monétaire sans permettre une spéculation contre sa monnaie. En particulier un pays qui est en sous-emploi peut relancer son économie en creusant son déficit, sans craindre l’assèchement en devises. Insistons sur le fait que les banques centrales nationales sont des banques centrales à part entière, libres de mener la politique monétaire de leur choix, et non des succursales de la BCZ. Elles ont pour mission de minimiser l’inflation et de réaliser le plein emploi. De son côté la BCZ a pour mission d’assurer les transferts et la comptabilité en Monnaie Commune, d’appliquer les règles définies en commun concernant l’équilibrage des balances des paiements et la révision des taux de change internes, et finalement de gérer le change entre la Monnaie Commune et l’extérieur.

Le système repose sur l’idée que les déficits des uns sont les excédents des autres, et redistribue les écarts par rapport à la moyenne. Il est clair que ce mécanisme sera moins douloureux si l’ensemble est en excédent plutôt que s’il est en déficit. Par ailleurs il ne peut se mettre en œuvre que dans une zone assez importante pour que ces échanges extérieurs soient faibles par rapport à ses échanges intérieurs. La zone Euro, ou mieux l’Union Européenne, ont cette taille critique. Une telle zone pourrait ensuite agréger autour d’elle un nombre croissant de pays volontaires.


(1) A moins que la zone monétaire ne soit le monde entier, le niveau à partir duquel un pays est « excédentaire Â» n’est pas forcément l’égalité entre entrées et sorties. C’est plutôt le niveau correspondant à l’excédent ou au déficit de l’ensemble de la zone.

 

Fiche N°12 : La monétisation des créances

Nous avons vu dans les fiches N°2, 3 et 4 comment les banques secondaires créaient de la monnaie et comment la Banque Centrale régulait l’ensemble du système. Nous avons vu en particulier que les banques secondaires avaient le pouvoir de  » monétiser  » des actifs, et notamment leurs propres créances. (Lire la suite…)

Fiche N°11 : Le mécanisme de crise de change dans les pays endettés en devises

Cette fiche décrit ce qui se passe lorsqu’un pays, habituellement un pays en développement, fait l’objet d’une crise de confiance de la part des investisseurs étrangers. (Lire la suite…)

Fiche N° 10 : Les transactions de change

Dans la Fiche N° 9, nous avons traité de la circulation des devises lors du règlement d’une transaction commerciale, mais nous avons laissé dans l’ombre la conversion, d’une devise dans l’autre, des sommes transférées, lorsqu’une telle conversion a lieu. Ici nous nous concentrons sur cette conversion, la transaction de change. (Lire la suite…)

Fiche N° 9 : Les réglements transfrontières

Pour tout un chacun, la circulation des devises évoque l’obtention de billets pour faire un voyage à l’étranger. (Lire la suite…)

Fiche N°8 : Inflation et liquidité

Lorsque les prix augmentent, la masse des liquidités augmente en général aussi. C’est que lorsqu’on échange la même quantité de biens à un prix supérieur, une quantité plus grande de monnaie s’échange aussi. Cette corrélation évidente entraîne une idée reçue, devenue un dogme, selon laquelle la cause principale, sinon unique, de la hausse des prix, est la hausse de la masse des liquidités monétaires(1). (Lire la suite…)