Réformer le marché de l’électricité

 

 

 

Début 2023, près de la moitié des entreprises françaises vont devoir renouveler leurs contrats d’approvisionnement en électricité, et elles anticipent des hausses très importantes, au point qu’une partie d’entre elles ne pourra pas les supporter.

La situation est la même dans les pays voisins. La confédération des entreprises italiennes estime que dans ce pays 120.000 entreprises sont menacées de faillite. En Grande-Bretagne, après une hausse de 54% en Avril, une hausse de 80% est annoncée pour Octobre. Les chambres de compensations qui opèrent sur le marché européen ne peuvent plus garantir le bon aboutissement des transactions d’électricité sauf à des prix de couverture exorbitants. En Angleterre ainsi que dans plusieurs pays de l’UE, les gouvernements renflouent ces organismes afin de sauver le marché. La Commission Européenne a dû avaliser ces aides d’Etat alors que d’habitude elle les prohibe pour entrave à la concurrence. Bref, elle fait ce qu’elle peut pour sauver le marché de l’électricité.

Ce marché est né dans les années 1980. La tendance à l’époque est d’aller vers toujours plus de concurrence. L’Angleterre de M. Thatcher a ouvert la voie en mettant fin au monopole de la distribution d’électricité dans son pays. En Europe, en 1996, la « Directive de l’électricité Â» bouleverse le secteur. Elle supprime le monopole d’importation-exportation, puis celui de la production et de la fourniture d’électricité. Elle ouvre aussi le réseau à la concurrence. Autrement dit, n’importe qui doit pouvoir produire et vendre de l’électricité. S’il y a des monopoles naturels, par exemple la propriété des lignes à haute-tension, il faut ouvrir leur utilisation en instituant des droits de péage.

Dans le même temps, EDF cesse de fixer les prix et il se forme un système d’enchères. La dernière centrale dont le marché a besoin fait le prix. Si la demande est forte, c’est une centrale à gaz. C’est le cas aujourd’hui et c’est donc le prix du gaz qui fait le prix de l’électricité.

Ce marché est-il viable ? Aujourd’hui il y a consensus pour dire que pour l’électricité le « tout marché Â» ne suffit pas. Mais à l’époque les dysfonctionnements n’ont pas été analysés correctement. On a simplement établi des correctifs, pour rétablir, croyait-on, le marché. Quelques exemples :

1) Jusqu’au début des années 2000 le prix du gaz a été bas. L’électricité sortant des centrales à gaz étaient donc les plus compétitives. Les entreprises concurrentes d’EDF ont fait de très bonnes affaires sans qu’on juge nécessaire d’agir.

2) En 2004 s’est ouvert une période où le gaz s’est trouvé plus cher et les concurrents d’EDF ne pouvaient concurrencer l’électricité sortant des réacteurs nucléaires. La Commission a demandé au gouvernement français de rétablir la concurrence. On a alors créé l’Arenh (« Accès régulé à l’électricité nucléaire historique Â»). Cet organisme a forcé EDF à vendre à prix coutant son électricité à ses concurrents, d’abord 100 Twh à 40 euros le Twh, puis à 42 euros. Ceux qui achetaient cette électricité à EDF se contentaient de la revendre avec un bon bénéfice.

3) Lorsqu’on a voulu favoriser l’essor de l’électricité renouvelable (éoliennes), on a créé un système de prix garantis. Un investisseur pouvait être rémunéré 150 ou 200 euros le Mwh, voire plus, sur 15 ans alors que le prix du Mwh sur le marché était de 50 euros !

Ces exemples montrent que ce marché ne fonctionne pas correctement. En fait il ne peut pas fonctionner, car l’électricité n’est pas un bien comme les autres(1) . Pour qu’un marché fonctionne selon la théorie de l’offre et de la demande, il faut d’une part que le bien puisse être stocké, afin que le vendeur puisse vendre ou ne pas vendre, et lui laisser le temps de négocier. D’autre part il faut assurer les investissements de long terme pour que l’offre puisse exister. Aucun de ces 2 points n’existe pour l’électricité.

Pour le premier, à partir du moment où de l’électricité est produite, elle doit être vendue ou perdue. On ne peut différer la vente de la production.

Pour le second point, l’investissement de production dans l’électricité est particulièrement capitalistique et ne peut se préparer qu’à long terme. Il ne peut donc être complètement déterminé par un marché de transactions à court terme.

L’électricité ne peut donc pas être un bien ordinaire comme l’ont cru les idéologues du tout marché qui ont mis en place le Marché Unique. Ce doit être un bien public, et comme il n’existe pas encore de bien public européen, elle doit pour l’instant être un bien public national. Actuellement ce sont les nations qui doivent planifier et produire l’électricité.

Les instances européennes ne semblent pas avoir compris cette évidence. Elles s’évertuent à limiter les gains des filières électriques qui ne fonctionnent pas au gaz (nucléaire, renouvelables, charbon) et donc à mettre des emplâtres sur le « marché Â», en général une limitation des prix ou des revenus.

Mais la solution correcte est de sortir l’électricité du marché de l’énergie et de déterminer qui (EDF ou d’autres) assure sa production dans le long terme, son transport et sa vente. Personne dans les instances européennes n’en parle pour l’instant.

 

 

 

 

 



(1) Voir J.Percebois « L’électricité n’est pas un bien comme un autre, c’est un service public. Â» Le Monde 09/09/2022