La balance commerciale de la France

Au mois de Mars 2022, le déficit commercial de la France calculé sur 12 mois a franchi une limite assez symbolique, celle des 100 milliards d’euros. Ce déficit n’est pas nouveau il s’est creusé depuis 2002. Le graphique ci-dessous montre la tendance de ces dernières années.

 

 

Cependant il faut observer qu’en 2021 le déficit de 85 milliards comprend 43 milliards de déficit dans le seul secteur de l’énergie. Cette tendance se poursuit en 2022. Pour Avril 2022, la direction des douanes donne une moyenne mobile mensuelle de – 6,1 milliards hors énergie et – 8,3 milliards pour l’énergie seule, soit 58% du déficit total. Autrement dit le déficit énergétique continue de se creuser.

Faut-il s’en inquiéter ? En fait il faut analyser l’ensemble du solde extérieur, non seulement celui des biens. Il faut en effet y ajouter le solde des services et le revenu des investissements. Le « solde courant Â» ainsi obtenu n’est « que Â» d’une vingtaine de milliards, et il semble rester dans cette zone depuis 10 ans.

Tout n’est pas rose cependant. En effet, la France est en déficit alors que la zone euro, prise dans son ensemble, a un solde courant largement excédentaire. Un solde excédentaire plait en général aux investisseurs et cela pourrait pousser à la hausse de l’euro. Ceci ne ferait pas les affaires de la France car cela diminuerait sa compétitivité et creuserait un peu plus le déficit commercial. Il serait en fait plus approprié de rééquilibrer la zone euro par relance de la demande dans les pays excédentaires, comme l’avait préconisé J.M.Keynes à l’époque de Bretton-Woods. Nous y revenons plus bas.

La France finance ce déficit sans gros problème(1) . Car sa balance des services est fortement excédentaire, et de plus elle reçoit des revenus considérables d’investissements directs à l’étranger, qui ont dépassé 50 milliards en 2020(2) . Ce revenu important vient du fait que depuis une vingtaine d’années la France a investi à l’étranger plus de 470 milliards d’euros. Ce chiffre est considérable, d’autant plus qu’il est net des investissements étrangers faits en France1.

Ces revenus aident donc à compenser le déficit du solde courant. Mais que peut-on dire de l’effet de ces investissements sur la balance commerciale ? Car ils peuvent l’améliorer s’ils aident à accéder au marché visé, mais ils peuvent aussi la détériorer s’il s’agit d’une délocalisation ou du remplacement d’une production sur le sol français par une production sur le sol étranger.

Une étude récente du Cepii(3) essaie de trancher, et conclut qu’en majorité, dans les secteurs où les entreprises françaises sont les plus présentes à l’étranger, les exportations ont été moins dynamiques et les importations beaucoup plus. Autrement dit , les multinationales françaises ont participé à l’aggravation du déficit commercial, car les investissements à l’étranger ont été faits dans beaucoup de cas dans un but de délocalisation.

Comment donc rééquilibrer la zone euro ? Comme nous l’avons dit plus haut, la solution qui apporte le plus de bien être à tous est que les pays excédentaires relancent leur demande pour diminuer leurs excédents. Mais ceci n’est pas la direction prise par le nouveau gouvernement allemand. Celui-ci ne fait que suivre une politique suivie depuis 1945, voire même depuis Bismarck, par tous les gouvernements de ce pays, et approuvée par la population. Il ne s’agit pas vraiment de protectionnisme, on pourrait plutôt parler de « néomercantilisme Â». C’est une politique de l’offre s’appuyant sur une compression de la demande, notamment de longues périodes de modération salariale, ce qui conforte la compétitivité des entreprises. Il y a un consensus social et un accord des syndicats pour appuyer la compétitivité de l’industrie allemande.

En France, le « mercantilisme Â» a été remplacé au 19ème siècle par les théories de « l’avantage absolu Â» (Adam Smith), et de « l’avantage comparatif Â» (David Ricardo). Dans ces théories tout le monde a intérêt à l’échange. Plus tard, J.M. Keynes a montré qu’il y avait des aspects néfastes à cette politique, notamment une possible dégradation de l’équilibre extérieur(4) . Il allait jusqu’à préconiser dans certains cas des mesures de nature protectionniste. Sinon, un cercle vicieux pouvait s’enclencher avec une demande intérieure qui s’adresse de plus en plus aux importations, et une industrie domestique qui dépérit. La France n’est-elle pas dans cette situation, avec ses déficits extérieurs persistants et sa forte désindustrialisation ? En 1981, les 3 dévaluations successives ont pu rétablir au moins une partie de la compétitivité. Aujourd’hui, avec l’euro, ce n’est plus possible.

On peut donc dire, que dans une zone monétaire comme la zone euro, si les priorités économiques des pays qui la composent sont fondamentalement différentes, alors cette zone monétaire est condamnée à la crise.

Comment s’y prendre ? Evidemment, il faudrait commencer par négocier. Une ouverture s’est produite récemment lorsque l’Allemagne a décidé un plan d’investissements supplémentaires de 100 milliards pour son armée. Cette décision a nécessité une modification de la constitution et une sérieuse modification du « frein à l’endettement Â». Mais rien ne dit que la politique macroéconomique de l’Allemagne en sera changée pour autant. S’il n’en est rien, et si les partenaires « vertueux Â» suivent le même chemin, la France ne devra compter que sur elle-même. Il n’y a alors que 2 solutions. Ou bien le gouvernement devra freiner la demande pour diminuer du même coup les importations. Il est à craindre que le gouvernement n’ait déjà choisi cette solution. En effet, il ne s’est pas précipité pour compenser l’inflation et la perte de pouvoir d’achat qui en découle. Les mécanismes compensateurs seront d’après lui examinés par la prochaine assemblée. Et il y fort à parier qu’au bout du compte il subsiste une perte de pouvoir d’achat conséquente.

Evidemment, ce n’est pas cette politique que nous préconisons. La vraie solution aux problèmes exposés plus haut, c’est de favoriser le plus possible une relocalisation de notre industrie. Le Covid et les problèmes de logistique pharmaceutique ont habitué les esprits à cette idée. Il faut donc continuer dans cette voie. Mais il ne faut pas croire qu’il suffit d’aider à l’implantation de quelques usines. D’autres actions sont importantes :

– Donner plus d’importance aux salariés par rapport aux actionnaires dans la gouvernance des entreprises. Un mouvement dans ce sens existe maintenant en France(5) .

– Ne pas donner systématiquement la préférence à l’innovation et à la conception dans l’action publique, mais à la production

On comprend qu’il y a là une réorientation nette de la politique actuelle du gouvernement, mais elle aiderait aussi au rééquilibrage de la zone euro.

 



(1) Rappelons que la balance des paiements s’équilibre automatiquement car toute opération donne lieu à deux écritures en sens contraire. Par exemple une importation de bien décrémente la balance commerciale de 1000€ mais elle est payée par la banque qui a « importé des devises Â» pour le faire et il y a une entrée de capitaux de 1000€, soit un incrément du compte de capital.

(2) Chiffres cités par J. Sébastien dans « Le déficit extérieur, cet éternel ennemi de l’intérieur Â», Le Monde 6/7 Juin 2022

(3) P. Cotterlaz, S. Jean et V. Vicard : « Les multinationales françaises,fer de lance du commerce extérieur français,mais aussi de sa dégradation Â» Lettre du CEPII N°427, Mai 2022

(4) Sur ces aspects théoriques et l’opposition économique France-Allemagne voir la courte mais excellente synthèse de A. et T. Grjebine : «  L’Allemagne et la France, deux écoles Â», Le Monde 5/6/7 Juin 2022

(5) Voir dans Le Monde du 6/06/2017 https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/05/la-codetermination-est-une-idee-porteuse-d-avenir-qui-doit-trouver-sa-place-dans-la-loi_5196511_3232.html