Editorial: Etat d’urgence

 

La situation est grave. Le chômage explose, quels que soient les chiffres qu’on prend pour le mesurer. La catégorie la plus restrictive, la catégorie A (sans aucun emploi), a passé depuis plusieurs mois le cap des 3 millions de chômeurs métropolitains. Il suffit d’ajouter les DOM/TOM et les chômeurs à temps partiel ou en formation pour dépasser les 5 millions. Alternativement on peut aussi ajouter tous ceux qui, en fin de droits ou découragés avant, sont sortis du marché du travail. 5 millions, cela fait environ 17% de la population active. Chez les jeunes ce taux dépasse 30%(1). Et les prévisions sur ce front restent sombres. L’OCDE prévoit une continuation de la hausse au moins jusqu’à la fin de l’année.

Ces chiffres sont la conséquence de la dégradation inquiétante de notre tissu économique. Entre l’été 2002 et l’été 2012 nous avons perdu 700 000 emplois industriels(2). Nul doute que la vague de plans de licenciements depuis le printemps 2012 va accélérer la glissade.

La balance extérieure des biens témoigne elle aussi du déclin de notre industrie. Le déficit en 2011 était de 73 milliards d’euros, et 2012 est sur la même tendance.

Certains ont tendance à penser que les emplois tertiaires peuvent compenser cette hémorragie d’emplois industriels. Mais ceci n’est pas possible en circuit fermé, car les agents qui vendent des services ne peuvent dépenser ces revenus uniquement pour acheter des services. Pour financer les autres dépenses (alimentation, biens industriels), il faut d’autres revenus. En France moins de 40% des dépenses de consommation sont des services hors loyers. Ceci signifie que plus de 60% du revenu dépensé doit l’être sur des biens matériels, et qu’il n’est pas pensable d’importer une grosse partie de ces 60%. Le maintien d’une industrie est donc indispensable. Par ailleurs un pays qui se désindustrialise régresse par rapport au reste du monde par manque d’innovations et de formations qualifiées pour ses enfants dans de nombreuses branches importantes.

La crise est particulièrement grave dans nos provinces. Il faut lire le cri d’alarme de Laurent Davezies(3) (économiste et urbaniste). D’après lui, si un peu partout les populations ont encaissé la chute des emplois industriels, c’est grâce aux transferts sociaux, et aussi parce que l’emploi public a progressé, notamment suite à la décentralisation. Mais le secteur public ne peut pas à lui seul assurer les revenus d’une part croissante de la population. Au contraire depuis quelques années il se désengage lui aussi pour diminuer les dépenses. Or de nombreux bassins d’emploi dépendent en majorité de revenus non marchands (emplois publics ou prestations sociales). Le retrait de l’Etat prépare une deuxième crise pour tous ces territoires (d’après l’auteur les grandes métropoles s’en sortent mieux).

Ce sinistre tour d’horizon, chacun peut le faire en rassemblant quelques lectures et observations. Alors que fait le gouvernement pour améliorer la situation ?

En vérité il est face à des contraintes européennes et internationales inextricables dont nous avons abondamment parlé sur ce site.

D’abord l’euro est surévalué. D’après les tables de PPA, l’Euro français est surévalué d’environ 60% par rapport à la monnaie hongroise et de 110 à 125% par rapport à la monnaie chinoise (ratio 2,1 à 2,25). La BCE ne fait rien pour changer cette situation, car l’Allemagne profite de cet Euro fort et la BCE ne fait rien qui puisse fâcher vraiment l’Allemagne.

Cette surévaluation de l’euro exacerbe les méfaits du libre-échange, que les instances européennes continuent de tenir pour le meilleur système pour le commerce mondial. Même à monnaies égales, de nombreux pays dans le monde mènent une guerre économique dans laquelle les européens sont particulièrement naïfs.

La crise de 2008, et la crise de surendettement des Etats qui a suivi, ont également amplifié les difficultés, conduisant l’euro de crise en crise. On ne peut être optimiste sur l’évolution de cette crise tant la monnaie unique est une machine à diverger et tant l’austérité concomitante de tous les grands pays européens sauf l’Allemagne pousse l’Europe dans une récession de grande ampleur.

Certains voient une issue à l’imbroglio européen dans un fédéralisme plus poussé. Mais le contenu de ce fédéralisme n’est pas clair, et en même temps la crise sociale avive les antagonismes. Jamais l’Europe n’a été aussi impopulaire. Même si de petits pas pouvaient être faits rapidement, une Europe suffisamment fédérale pour effacer les différences les plus criantes est probablement inenvisageable à échéance courte. Il suffit de rappeler la faiblesse du budget européen (moins de 1% du PIB) au moment où les pays membres se démènent pour ne pas trop diminuer leurs propres budgets.

Or le temps presse. Nous risquons d’être complètement hors circuit, ou la proie de troubles sociaux, ou encore livrés au populisme, avant d’avoir un début de solution.

Alors le gouvernement est balloté par les lobbies de gauche ou de droite et essaie tant bien que mal de donner l’impression qu’il agit. Le dernier exemple est le plan de compétitivité. Les patrons sont contents, ils ont gagné 20 milliards. D’abord ce montant est ridiculement faible au regard des problèmes à résoudre, d’autant plus qu’une partie de cette somme, celle qui bénéficiera aux grands groupes, sera dépensée à l’étranger. On ne peut croire que 1% du PIB (3% de la masse salariale(4) ) puisse infléchir vraiment le cours des choses, étant donnée l’ampleur bien plus grande des déséquilibres internationaux qui affectent les coûts salariaux, comme nous l’avons expliqué plus haut. Par ailleurs, ce plan marque la conversion du gouvernement à la politique de l’offre, qui dans une conjoncture de demande intérieure déprimée, ne peut que s’adresser en grande partie à la demande étrangère. Car cette politique de concurrence par le niveau des salaires est sans espoir hors zone euro, comme nous l’avons montré. A l’intérieur c’est à dire vis-à-vis des pays du Nord et de l’Est, à supposer que ces pays ne ripostent pas, cette politique ne peut réussir au mieux qu’après plusieurs années. Une fois encore, l’urgence impose des solutions plus rapides et plus sûres.

Un autre aspect dramatique de la situation est que ceux qui prônent une autre direction pour l’Europe sont assimilés à des anti-européens et sont sommés de se taire, ou sont taxés d’irresponsabilité.

Mais, nous dira-t-on, cette autre direction pour l’Europe, c’est quoi au juste ? Nous en avons parlé ici, il faut pallier aux désordres du commerce international par un protectionnisme intelligent aux frontières de l’Europe et par des mécanismes compensateurs à l’intérieur de l’Europe. Et il faut pallier aux désordres de l’euro en réformant celui-ci de manière à donner plus de souplesse aux membres de la monnaie unique. Nous avons décrit ici un système de monnaie commune.

Soyons clair, les avantages d’une Europe unie sont évidents, nous ne le nions pas. Comme nous ne nions pas que cette Europe unie doit rester l’objectif à long terme. Mais plutôt que de mourir tous (ou presque tous) ensemble, nous considérons qu’il faut qu’un des membres se lève pour tenter de stopper cette course vers l’abîme et suggérer à l’Europe une direction à suivre un peu moins suicidaire. Car, quelle que soit la voie suivie, reprendre le chemin vers la prospérité demandera la mobilisation de toute la nation pour que son destin ne lui soit pas imposé par les autres. Et il y a immédiatement un choix fondamental. Ou bien la France joue le jeu de la mondialisation libérale, ou elle le refuse. Si elle le joue, le chemin est celui de la recherche de la compétitivité en marché libre, c’est-à-dire de coupes claires dans les salaires et les avantages sociaux. C’est la politique prônée par l’Allemagne et ses alliés, ainsi que par les dirigeants actuels de la BCE. Ces sacrifices peuvent être étalés dans le temps et atténués pour les plus faibles, mais en moyenne il faut s’attendre à une baisse du niveau de vie pendant de nombreuses années.

Nous refusons ce choix et préconisons plutôt un passage en force vers une autre politique, pour essayer d’entraîner certains pays et forcer les autres à la négociation. Nous détaillerons cette politique plus loin, mais nous pensons qu’avant tout nos dirigeants devraient faire clairement ce choix et l’expliquer aux citoyens pour que chacun puisse se déterminer en connaissance de cause. Car si nous restons dans l’actuelle langue de bois qui nourrit l’inaction et qui laisse grandir le chômage pour mieux imposer les sacrifices, alors nous allons droit vers l’échec. Nous n’aurons même pas essayé de nous sauver.

Nous préconisons donc que le gouvernement français, dûment mandaté par la Nation(5) , adresse à ses partenaires européens (après les avoir prévenus oralement) un mémorandum fondé sur 3 griefs, et justifié par l’urgence sociale (situation de force majeure).

1. La Banque Centrale Européenne doit non seulement fixer les taux d’intérêt à court terme, mais aussi réguler les taux à long terme en servant d’acheteur en dernier ressort et faiseur de prix pour les emprunts d’Etats. Toutes les grandes banques centrales du monde (la FED, la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre) procèdent ainsi, sauf la BCE.

2. Les déséquilibres monétaires et commerciaux entre les membres de l’UE sont insupportables et la France n’a pas l’intention de se lancer dans une déflation salariale(6) comme l’Allemagne incite les autres, y compris la France, à le faire.

3. Les déséquilibres commerciaux entre les membres de l’UE et certains pays à monnaie faible sont également insupportables et doivent entraîner des actions de protection afin d’en limiter les conséquences.

Ce mémorandum demandera une réponse très rapide sur le début de négociations (1 mois), et un terme de décisions de quelques mois.

Pour répondre aux deux premiers points, la France proposera dans le mémorandum un système de monnaie commune avec réalignement possible des monnaies nationales. Dans ce système, chaque pays gère sa monnaie et sa politique monétaire à côté de la monnaie commune qui resterait l’euro et serait seule utilisée à l’extérieur. Pour plus de détail voir notre Fiche Technique N°13.

Pour répondre au 3ème point, la proposition serait de rétablir un tarif extérieur commun avec des droits d’entrée négociés le plus rapidement possible pour diminuer les déficits les plus criants. Un système « intelligent Â» peut être proposé.

En cas de réponse négative à cette demande de négociation, ou d’échec de ces négociations dans un délai rapide, le gouvernement dramatiserait un peu la situation en décrétant l’état d’urgence au sens constitutionnel (article 16 de la constitution) pour rétablir les barrières douanières à nos frontières et réquisitionner la Banque de France. Ces actions seraient essentiellement conservatoires pour montrer notre détermination, mais elles suffiront à faire baisser l’euro quelque peu, et, si l’échec se confirmait, il serait alors possible dans un délai de quelques mois d’entreprendre les actions réellement productives :

– Etablir des droits compensateurs vis-à-vis des pays de l’UE à coût du travail trop différent du nôtre, que ce pays soit extérieur à la zone euro ou qu’il y soit entré « au rabais Â».

РEntamer des n̩gociations avec les pays asiatiques exportateurs.

– Obliger la Banque de France à réguler les cours des emprunts d’Etat. Ceci l’amènera sans aucun doute à contrevenir à la politique de la BCE et il s’ensuivra un bras de fer avec nos partenaires de la zone euro. Ce point est toutefois essentiel pour que la France puisse continuer à emprunter sur les marchés tant qu’elle n’a pas recouvré la totalité de la maîtrise de sa politique monétaire.

Après cette phase de quelques mois, la situation aura certainement évolué, les positions des uns et des autres se seront cristallisées, et soit on ira vers une monnaie commune pour l’ensemble des européens, soit on assistera à une scission de l’euro, les pays du Nord conservant la monnaie unique et les pays du Sud s’étant mis d’accord pour mettre en œuvre une monnaie commune. Dans les deux cas de figure la France peut restaurer le Franc et retrouver sa souveraineté monétaire. Rien n’empêche alors de conserver les structures de l’UE dans une organisation monétaire différente.

Certains trouvent toute cette stratégie trop compliquée et sont partisans de la sortie immédiate de l’euro. Ils font valoir que mieux vaut le risque de graves problèmes temporaires que le déclin, et que l’effet d’une dévaluation serait rapide. Nous pensons au contraire que cette stratégie risque de ruiner la négociation avec nos partenaires européens dès le départ, et de nous plonger dans des problèmes de change inextricables (manques de devises, baisse accélérée du franc et forte inflation importée). Nous pensons aussi que notre stratégie de « négociation musclée Â» est non seulement meilleure, mais plus crédible et qu’elle mène à un résultat équivalent.

Mais il ne suffit pas de négocier des conditions préalables, il faut aussi agir. Car parallèlement à ces grandes manÅ“uvres politiques et monétaires, le gouvernement doit développer dès que possible un plan de relance, dont le détail est donné dans un document séparé, le «Plan de Sortie de Crise  Â». Ce plan, qui est issu de plusieurs mois de travail collectif, repose sur 2 constats et plusieurs hypothèses.

Le premier constat, c’est que rien n’est possible sans un redressement de notre balance extérieure. 2 ou 3% de PIB de déficit extérieur imposent 2 ou 3% de déficit public en plus pour compenser l’effet récessif. Sur la longue période ce n’est pas compatible avec l’expansion recherchée de l’économie, sauf financement massif de l’extérieur, ce qui est peu probable.

Le deuxième constat, c’est que l’Etat ne peut pas assumer la croissance(7) à lui tout seul sur une longue période. Il lui appartient de relancer la machine, mais sur le moyen terme (plus de 5 ans), le secteur privé doit avoir pris le relais. A structure de l’économie égale, c’est-à-dire en excluant une extension importante du secteur public, toutes les simulations montrent(8) que si le secteur privé ne remplace pas comme moteur le secteur public, alors l’Etat est forcé d’augmenter son déficit et ne peut faire baisser sa dette sauf forte inflation. Même le concours de la Banque Centrale ne peut être suffisant, car s’il peut être significatif sur courte période, il ne peut pas l’être longtemps sans risquer l’inflation monétaire(9), à moins de réserver la création monétaire à l’Etat et de restreindre la création monétaire par les banques (réserves obligatoires, encadrement du crédit), voire de la supprimer complètement. Ceci n’est pas impossible mais ajouterait une réforme fondamentale du système monétaire aux autres formidables problèmes à résoudre, et c’est donc à éviter dans l’immédiat. En résumé, soit les entreprises privées et les ménages participent à la croissance en créant leur part de revenus et d’emplois, et alors l’Etat peut financer la reprise sans problème avec une aide temporaire de la Banque de France, soit cette participation du secteur privée ne peut être acquise, et l’Etat doit réglementer, voire « nationaliser Â» la création monétaire pour éviter le risque inflationniste.

Les hypothèses faites pour élaborer le plan de relance sur 10 ans découlent des constats ci-dessus et sont détaillées dans le document séparé « Plan de Sortie de Crise Â». On constatera que ces hypothèses sont assez volontaristes, puisqu’elles supposent une croissance de 4% à partir de la 3ème année, et la création de 3,6 millions d’emploi (on considère qu’au départ environ 5 millions de demandeurs d’emplois existent potentiellement). On montre également qu’une croissance de 3% non seulement ne créerait que 2,4 millions d’emploi, mais aussi qu’elle est plus difficile financièrement, car la croissance est le meilleur remède contre l’endettement.

Bien sûr, l’inflation est aussi un remède pour la dette, mais nous excluons une forte inflation. Une inflation modérée étant inévitablement induite par la baisse de l’euro et par les protections douanières, nous avons testé l’influence de 2 points d’inflation supplémentaires. Le résultat est que l’inflation est sans influence sur le déroulement du plan si elle est correctement anticipée par les agents, car alors ceux-ci, y compris le gouvernement, s’endettent plus en nominal bien que l’endettement relativement au PIB baisse modérément.

Nous donnons le résultat chiffré du scenario central à titre d’illustration, mais le lecteur intéressé par un document plus complet pourra consulter le « Plan de Sortie de Crise  Â«Â .

 

Année

An0

An1

An2

An3

An4

An5

An6

An7

An8

An9

An10

PIB Valeur

1951

2039

2158

2299

2454

2626

2816

3027

3260

3518

3805

Déficit brut %PIB

0,041

0,059

0,059

0,055

0,049

0,043

0,037

0,032

0,026

0,023

0,021

Dette brute %PIB

0,900

0,919

0,928

0,925

0,915

0,899

0,875

0,846

0,811

0,775

0,738

CMD(1) G€

 

83,52

88,77

79,00

67,09

55,43

44,15

33,45

23,57

17,35

11,27

Excédent(2)

 

52,59

47,05

28,87

11,68

-5,89

-23,78

-41,88

-60,07

-75,63

-92,24

Dette nette %PIB

0,900

0,878

0,848

0,816

0,786

0,756

0,727

0,697

0,666

0,635

0,606

Gain productivité

 

0,017

0,022

0,025

0,025

0,025

0,025

0,025

0,025

0,025

0,025

Gain emploi (millions)

0,00

0,20

0,31

0,37

0,37

0,38

0,39

0,39

0,40

0,40

0,41

Cumul gain emploi

0,00

0,20

0,51

0,88

1,25

1,63

2,02

2,41

2,81

3,21

3,62

Taux chômage

0,172

0,168

0,160

0,150

0,140

0,129

0,119

0,108

0,098

0,087

0,076

(1) La CMD est la Création Monétaire Directe par la Banque Centrale au profit de l’Etat.

(2) L’excédent est la création monétaire en sus de la croissance naturelle de la masse monétaire

 

On voit dans ce tableau qu’en raison de l’aide de la Banque Centrale, surtout dans les premières années la dette nette est diminuée notablement. Bien que la croissance prenne rapidement le relais, la différence à l’arrivée est de 13 points de PIB.

La croissance volontariste à 4% nécessite un financement important, mais pas gigantesque. Si le plan se déroule normalement avec participation modérée du secteur privé, les déficits bruts cumulés de l’Etat sur 10 ans sont de 1050 milliards d’euros. Notons d’abord que ce montant n’est pas en euros constants. Si on corrige de l’inflation pendant les 10 ans, on réduit la somme à 950 milliards. Ensuite ce montant comprend non seulement les dépenses consacrées au plan de relance, mais aussi des dépenses « ordinaires Â» qui auraient existé sans plan de relance. Le poids de 1% de PIB sur les 10 ans du plan étant d’environ 280 milliards d’euros, et si on suppose qu’il faut au moins 1,5% de déficit « ordinaire Â», le plan de relance est en réalité inférieur à 640 milliards d’euros sur 10 ans. Ces montants rejoignent d’autres estimations et ne sont donc pas irréalistes(10).

D’autres doutes peuvent venir du fait que les relances keynésiennes sont fondées sur l’existence d’une demande potentielle. Le contre-exemple habituel est celui du Japon, qui malgré plusieurs plans de relance par endettement de l’Etat, s’est enfoncé toujours plus dans la déflation. Mais c’est ignorer que de larges pans de l’industrie japonaise avaient été délocalisés dès la remontée du yen à la fin des années 1980 et que le Japon s’était installé dans une économie à l’allemande, avec une importante sous-traitance extérieure, sans avoir l’avantage d’une zone à monnaie forte comme l’Allemagne pour y vendre à haut niveau de prix. Les conditions que nous entendons créer sont très différentes et cet exemple n’est donc pas pertinent.

Il n’empêche que la croissance naît d’une offre et d’une demande, il nous faut donc prouver que la demande sera au rendez-vous, et le Plan de Relance détaillé n’élude pas ce problème.

Il est certain que si ce plan était réalisé et réussissait, comme nos simulations le laissent penser, il ferait réfléchir, d’autant plus que les mesures que la France aurait prises seraient très certainement imitées par d’autres. C’est pourquoi la demi-mesure n’est pas de mise. Les compromis habituels ne peuvent aller loin.

Le gouvernement actuel ne semble pas être sur cette ligne, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est au contraire sur la pente de l’austérité, c’est-à-dire qu’il a choisi la compétitivité par les coûts en gardant le marché libre, mais sans en expliquer franchement les conséquences, puisqu’il promet le retour de la croissance pour bientôt, alors qu’il faudra, si on continue dans ce sens, entre 5 et 10 ans de lourds sacrifices avant d’arriver à être compétitifs par rapport aux plus proches de nous, et beaucoup plus longtemps par rapport à nos compétiteurs plus lointains. En réalité, nous ne croyons pas que les français attendront aussi longtemps. Et plus nous attendons, plus dure sera la remontée.



(1) Tous les chiffres du chômage sont pris dans les statistiques de la DARES

(2) « Tableau de bord de l’emploi salarié Â», Ministère du redressement productif.

(3) « La crise qui vient Â», Le seuil (Octobre 2012), dont un résumé a été fait dans Le Monde du Mardi 16 Octobre 2012.

(4) Des commentaires sur ce plan parlent de 6% de baisse sur le coût salarial. On ne sait comment ce chiffre est calculé, mais certainement l’assiette de masse salariale est restreinte par rapport à l’ensemble.

(5) Ce « gouvernement Â» qui agirait dans le sens préconisé ici est nécessairement différent du gouvernement actuel, qui soit changerait de politique, soit serait renversé par la rue.

(6) Par déflation salariale nous entendons une diminution de toutes les formes de revenus, salaires mais aussi transferts sociaux de toutes sortes.

(7) Nous appelons croissance une augmentation annuelle des emplois. Pour être conservateurs, nous n’envisageons pas dans ce plan de diminution du temps de travail. Le débat reste donc ouvert sur ce point.

(8) Voir dans le « Plan de Sortie de Crise Â».

(9) Sur longue période, la monétisation par la Banque Centrale ne peut excéder l’augmentation annuelle de la masse monétaire, soit, avec une croissance nominale de 4 à 8%, environ 1 à 2% du PIB.

(10) La FNH (Fondation pour la Nature et l’Homme),  « Think Tank Â» impulsé par Nicolas Hulot, dans son document « Financer l’avenir sans creuser la dette Â» a chiffré en 2011 le coût d’un « plan de transition écologique et sociale Â» à 600 milliards d’euros sur 10 ans.



7 commentaires pour “Editorial: Etat d’urgence”

  1. Bonjour,
    Merci pour cette réflexion et toutes ces propositions, ça change de ce qu’on entend habituellement et ça fait du bien 🙂
    J’aime l’idée d’une monnaie commune qui permet à la fois de conserver le partage d’une monnaie avec nos partenaires européens et de recouvrer une politique monétaire pour notre nation.
    Par contre, tabler sur une croissance économique de plus de 4% me laisse plus que dubitatif. Certes, une politique de relance massive permettrait au moins de s’engager dans un processus d’augmentation de l’activité. J’en conviens. Mais une augmentation de l’activité économique requiert plus d’énergie. Et nous en avons aujourd’hui autant et dans un futur assez proche, nous en aurons moins à disposition. Ça va coincer qq part…
    C’est tout frais, ça vient de tomber, c’est court et pertinent. Je vous le conseille vivement :
    http://petrole.blog.lemonde.fr/2013/04/11/croissance-dette-facture-energetique/#xtor=RSS-32280322

  2. @ Mat,
    Comme je l’ai montré, cette croissance est nécessaire pour s’en sortir sans bouleversements de l’économie aux conséquences imprévisibles.
    Aux doutes sur les limitations, on peut répondre de 2 manières.
    1. Jusqu’à maintenant le monde n’a pas manqué d’énergie malgré les prévisions pessimistes qui fleurissent depuis longtemps et tout laisse penser qu’il en sera de même dans les 10 ans à venir. Au delà des découvertes prendront le relais, on peut l’espérer.
    2. D’autres pays que nous croissent à des taux supérieurs à 4%. On peut donc rééquilibrer sans consommation globale d’énergie plus élevée.
    La réponse la plus vraisemblable est sans doute entre les deux.
    En ce qui concerne la balance commerciale, le poste « énergie » est bien sûr essentiel. J’ai souligné l’importance de l’équilibre commercial et il faudra exporter de quoi se payer l’énergie non produite chez nous.

  3. Merci pour votre réponse. Si je suis d’accord avec le point 2, je vous trouve très optimiste concernant le point 1. Il n’y a aujourd’hui rien de connu qui puisse remplacer le pétrole. A volume égal, même l’hydrogène compressé à 700 bars est dix fois moins énergétique. Je suis d’accord pour dire que des solutions de remplacement existent, mais on sous-estime grandement les implications qu’elles auront sur nos modes de vie. Cela impactera donc également la façon de voir l’économie. Mais bon, qui vivra verra…

  4. Merci mille fois pour ce courageux, détaillé et rationnel plan.
    Cependant il me semblerait encore plus acceptable et convainquant si on y incorporait que la croissance serait principalement centrée vers des investissements destinés à contrer le réchauffement de la Terre. De nombreuses publications existent prouvant les très importantes créations d’emplois induits (par exemple en énergies renouvelables, agriculture biologique, relocalisations).
    Merci encore

  5. @guguenheim
    Le poids plus ou moins grand des investissements de transition écologique est objet de discussions entre spécialistes. Nous n’avons pas voulu entrer dans ce débat. Nous nous bornons dans le plan à observer que des projets tels que l’isolement des logements existants et la construction de nombreux logements en bonne isolation thermique coûtent cher et devraient générer de nombreux emplois. Cet arbitrage entre les besoins sera de nature politique. Le principal est de noter qu’il ne manque pas d’investissements rentables à financer par un plan de relance.

  6. Il est dommage de négliger le point de vue écologiste car une convergence existe et pourrait être très utile. Une proposition de croissance de 4% paraît communément (mais à tort) irréaliste. D’autre part elle choque profondément ceux qui pensent que le réchauffement de la Terre dû au mode de croissance actuel représente une catastrophe potentielle de plus en plus crédible.
    Or la convergence existe à travers d’une part la reterritorialisation fût-elle au niveau de la zone €, et les investissements nécessaires à la modification du MODE de croissance (utilisation de la monnaie centrale). Je ne dis pas que Chômage et Monnaie doive adopter ce point de vue. Mais une allusion pourrait être faite vers cette possibilité.

  7. Bonjour,
    Je n’oublie pas que vous aviez rejeté la mesure dont je vous parlais il y a quelques temps …cependant je renouvèle ma suggestion au débat que avec Chômage et monnaie vous avez initié sur un plan de relance…
    le transfert sur une TVA Sociale de la totalité des charges sociales (pat. et sal.) qui alourdissent les prix de vente aurait les effets d’une dévaluation sans réduire la demande, n’est elle pas à envisager dans un plan de crise comme vous l’avez pensé ?
    -la TVA sociale améliore notre compétitivité sans réduire le pouvoir d’achat qui nourrit la demande
    -Elle permet, selon son taux, d’atteindre l’optimum économique et non l’optimisation des recettes fiscales au sens de la courbe de Laffer.
    – elle a un effet régulateur sur les échanges extérieurs : favorable pour un pays déficitaire (comme la France actuellement) et défavorable pour un pays très excédentaire (effet inflationniste quand le volume des exportations dépasse le double de celui des importations – l’Allemagne serait dans ce cas ?)
    Merci de m’avoir lu
    A. Mévellec

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