L’injuste punition des plans de rigueur

Maintenant que les gouvernants et les opérateurs sur les marchés sont certains que l’économie mondiale ne sombrera pas dans une crise profonde, ils commencent à penser que tout finira bien par repartir comme avant, et les vieilles rengaines sur la « bonne gouvernance Â» ressurgissent. Bien que les esprits avertis fassent observer qu’arrêter les soutiens publics trop rapidement risque d’être fatal à la reprise, les marchés et les dirigeants orthodoxes ont les yeux rivés sur la « sortie de crise Â». Un soutien aussi massif des gouvernements n’est pas très orthodoxe en régime normal, et son résultat, la montée de la dette publique, est montré du doigt.

Les augures parlent de « plans de rigueurs Â» pour 2011 ou 2012. Mais un plan de rigueur, c’est quoi ? Cela consiste en général à augmenter les impôts des ménages et/ou à diminuer les dépenses de l’Etat ou du secteur public à destination de ces ménages. Dans les deux cas les ménages ont moins de revenu disponible après impôt, et pourront donc moins dépenser pour consommer. L’économie étant un circuit, les dépenses des ménages sont les revenus des entreprises et la baisse de la consommation entraîne fatalement une compression des dépenses des entreprises, c’est-à-dire en premier lieu leurs dépenses de salaires, ce qui diminue encore les revenus des ménages. Il s’ensuit donc la plupart du temps une spirale dépressive, qui non seulement dégrade la situation des ménages et des entreprises, mais aussi les recettes de l’Etat, de sorte que l’objectif initial de diminuer le déficit ne peut en général être tenu. Sur ce dernier point, cela dépend évidemment des mesures fiscales prises. Certaines ont un effet immédiat, par exemple la hausse de la TVA et des taxes sur les carburants ou le tabac. Mais lorsque la spirale dépressive se met en place, même ces taxes sont affectées à la baisse. D’autre part les autres impôts tels que les impôts sur le revenu et sur les sociétés, seront évidemment à la baisse. Ceci signifie qu’en général pour que les objectifs initiaux soient tenus, il faut en cours de route aggraver la rigueur.

Or la situation de l’endettement n’est pas telle qu’il faille prendre de tels risques. Les pays de l’Eurozone auront en 2009 une dette publique moyenne de 78% environ du PIB et on prévoit 83% en 2010. Trois pays seront au-dessus de 100% (Belgique 101%, Grèce 115% et Italie 116%). Mais après tout est-ce catastrophique ? Le Japon approche des 200% et ne s’en porte guère plus mal(1) .

Finalement, ces projets de plans de rigueur paraissent d’autant plus injustes qu’ils se traduiront par plus de difficultés pour les pays concernés, alors que le but d’améliorer les déficits des Etats n’est pas du tout assuré d’être atteint, et alors qu’existeraient des moyens de faire autrement si on le voulait vraiment, comme on l’a déjà dit ici(2) .

On pourrait se demander pourquoi nos dirigeants persistent dans la mauvaise voie, en diffusant par tous les canaux possibles l’argument du fardeau de la dette pour les générations futures. Ils espèrent sans doute nous convaincre le moment venu que les sacrifices sont inévitables. Et ils pensent sincèrement que c’est la seule voie possible. Pourquoi pensent-ils cela ? A cause de la disparition progressive de toutes les marges de manÅ“uvre.

En effet, les taxes aux entreprises ont diminué progressivement à cause de la concurrence mondiale et de la nécessaire compétitivité. Il s’ensuit une course au « moins-disant Â» fiscal qui réduit les marges de manÅ“uvre financières des secteurs publics.

Du côté du système financier, nous observons qu’il se porte comme un charme. Les banques sont financées par les banques centrales à un taux très faible (le maximum est de 1% dans l’Eurozone), et peuvent prêter aux gouvernements, c’est-à-dire sans risque, à des taux variant en Eurozone entre 3% pour l’Allemagne et 6% pour la Grèce (voire 9% ces jours-ci). La spéculation va bon train. Pourtant les taxes sur les banques sont bien longues à se mettre en place et ne sont pas très élevées (3) . La raison en est toujours la même : il ne faut pas nuire à la compétitivité de nos banques et de nos places financières.

Quant aux Banques Centrales, financer les gouvernements, elles veulent bien le faire au mieux pendant la crise, mais cessent progressivement ces concours. La BCE, quant à elle, ne prête pas aux gouvernements, même pendant la crise, car c’est interdit par ses statuts.

Une autre raison pour laquelle nos dirigeants chaussent les bottes de l’orthodoxie la plus stricte est la contrainte des marchés dans un système mondial de libre circulation des capitaux. Car le taux auquel nous empruntons sur ces marchés dépend de la perception par eux de la « qualité Â» de notre gestion. Ils sont aidés en cela par les agences de notation qui mettent souvent de l’huile sur le feu. Lorsqu’un pays est en difficulté, elles le désignent à l’inquiétude permanente des investisseurs, qui vont augmenter les taux de leurs prêts, augmentant ainsi les difficultés du pays concerné. La note de la France est aujourd’hui excellente, mais si le gouvernement veut la conserver, il doit justement donner des gages de « rigueur Â» et diminuer sa dette.

C’est pourquoi toutes ces contraintes incitent nos gouvernants à penser que le « plan de rigueur Â» est la moins mauvaise voie. C’est pourquoi aussi ils préparent leurs opinions à subir de tels plans dans un avenir peu précis, mais qui pourrait intervenir en 2011 ou au plus tard en 2012.

En Grèce ils sont déjà en plein dedans. Six mois ne se sont pas encore écoulés que la spirale dépressive est déjà en marche. En effet la Banque Centrale de Grèce vient d’annoncer que le PIB reculerait de 2% en 2010 et le gouvernement grec a dû annoncer une aggravation du déficit En retour l’Allemagne demande encore plus de rigueur.

En France nous ne serons pas trop en retard car la réforme des retraites en fait certainement partie. Car sinon comment expliquer de lancer une telle réforme en pleine crise de chômage ?

Si cette tendance se généralise en Europe, gageons que nous sommes loin de sortir vraiment de la crise. Qui plus est, on peut prédire sans risque que des plans de rigueur dans le contexte actuel seront contre-productifs, et se traduiront par plus de chômage et de misère.

 

 

 



(1) Il est vrai que la dette publique japonaise est possédée à 95% par des japonais.

(2) Voir notre Manifeste 2008, qui est toujours d’actualité, et le plan spécial que nous avons proposé pour sortir de la crise. Ces moyens nécessitent tous de bousculer à des degrés divers le blocage de doctrine économique qui a cours à Bruxelles et à Francfort.

(3) Le G20 n’arrive même pas à se mettre d’accord sur le principe d’une taxe



2 commentaires pour “L’injuste punition des plans de rigueur”

  1. @Ggaland
    Vous dites qu’un plan de rigueur « consiste en général à augmenter les impôts des ménages et/ou à diminuer les dépenses de l’État ou du secteur public à destination de ces ménages ». Une autre formule, meilleure, de plan de rigueur serait une réduction des impôts afin d’augmenter le revenu des ménages.
    En effet, lorsque l’État prélève 1000 d’un riche en le destinant à un pauvre, cette redistribution a un coût visible et un coût caché. Le coût visible est le salaire des fonctionnaires qui perçoivent l’impôt, qui administrent et contrôlent la redistribution. Ce cout moyen avoisinerait 20% en France.
    Mais le coût caché est plus important. Le contribuable réagit en produisant moins pour payer moins d’impôt. Des resquilleurs sacrifient des gains potentiels pour obtenir une part de la redistribution. Ces gains potentiels totaux tendent vers le montant de l’impôt lui-même. C’est un raisonnement à l’équilibre, et qui a ses limites évidentes.

  2. @gdm
    On connaît ce discours outrancier des théoriciens libéraux. Toujours moins d’Etat, toujours moins de solidarité.
    La redistribution a toujours un coût. Le coût direct de la Sécurité Sociale est inférieur à 6% des fonds redistribués, ce qui est bien inférieur au coût de redistribution des assurances privées.
    Quant au coût caché, c’est facile d’affirmer, encore faudrait-il le prouver. Et pourquoi ne pas aussi parler des gains cachés, le pauvre consommant son supplément de revenu auprès de fournisseurs nationaux alors que le riche, si on lui laisse l’argent, le place sur les marchés financiers internationaux ?

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