Editorial : G20 ou G vain ?

C’est Jacques Attali qui a employé l’expression du G  » vain « , à quelques jours du sommet, en exprimant ainsi son inquiétude que les résultats de ce sommet ne soient pas à la hauteur des espérances.

Hélas, le résultat est probablement encore au dessous de ses pires craintes. Le sommet a eu lieu maintenant depuis plus de 8 jours et il a presque disparu des journaux. Aucun quotidien n’a titré sur les résultats économiques de ce sommet, tant ils sont minces. Au lendemain du G20, c’est Pierre-Antoine Delhommais, dans Le Monde, qui donne le meilleur résumé :  » Intraitables et intarissables sur l’accessoire, inconsistants et muets sur l’essentiel. « 

L’accessoire, qui occupe le devant de la scène, c’est le problème des bonus des traders et des dirigeants de banques. Il s’agit certainement d’un problème moral (mais l’est-ce plus que les salaires des sportifs ou des stars du show-biz ?), en tout cas ce n’est pas un problème économique. Or c’est semble-t-il le seul point qui ait fait l’objet de précisions suffisantes et d’un consensus assez fort pour qu’on puisse penser qu’il sera appliqué, au moins pendant un certain temps.

Quels sont les autres points importants ?

D’abord, les paradis fiscaux. On en a apparemment peu parlé, sauf pour confirmer qu’on serait ferme pour obtenir des informations fiscales. Mais on ne semble pas avoir répondu aux deux problèmes non résolus à ce jour. Premièrement, on sera ferme jusqu’où ? Avant le sommet, les français avaient parlé de sanctions possibles. Mais depuis, rien. On a appris qu’à la veille du sommet, la Suisse et quelques autres paradis ont produit suffisamment de conventions fiscales (il en faut 12) pour pouvoir sortir de la liste  » grise « . Mais il faut savoir que certains paradis fiscaux produisent des listes dans lesquelles figurent d’autres paradis fiscaux ! En résumé, ils freinent des 4 fers pour sauvegarder leur poule aux oeufs d’or, et pour l’instant ils y parviennent très bien.

En fait, l’information fiscale sur demande n’est pas suffisante. Il faut une transparence totale et la fin du dumping fiscal pour les entreprises. D’une manière ou d’une autre il faut chasser les banques et les multinationales des paradis fiscaux. On n’en prend pas le chemin.

 

Ensuite, il faut éviter le retour des spéculations déstabilisatrices telles que celles qui ont mis à bas le système financier en 2008. Apparemment on s’est mis d’accord au G20 pour une supervision plus stricte et des exigences de plus fortes capitalisations. On a même parlé de ratios d’effet de levier (ratio entre le capital et les actifs) plus importants. Hélas tout ceci, même si c’est appliqué, ne répond pas au problème. Le véritable problème des banques est ce que les économistes appellent  » l’aléa moral « . Cela signifie que celui qui donne la garantie (l’Etat) est trompé par celui qui est garanti (le banquier) parce que celui-ci ne révèle pas à l’Etat les risques réels encourus, que seul il peut connaître. Ce problème ne peut être résolu qu’en séparant les activités risquées des activités qui doivent être garanties par l’Etat, à savoir le crédit et les comptes de dépôt des ménages et des entreprises. Sinon les financiers continueront de jouer sur du velours en bâtissant de nouveaux casinos, tout en étant sûrs que l’Etat viendra à leur secours si les choses tournent mal.

Mais surtout, sur le retour de la croissance, l’absence de réponse véritable est inquiétante. Certes, la majorité des participants préconise de continuer les actions de relance jusqu’à ce que le chômage diminue. Mais ceci est-il possible ? Pourquoi ne parle-t-on pas des déséquilibres fondamentaux, qui sont les inégalités des revenus et les excédents asiatiques ?

Nous avons expliqué dans notre dernier éditorial pourquoi la croissance pourrait ne pas repartir spontanément de sitôt, en raison de la disparition du ressort principal de la croissance précédente, qui était la bulle d’endettement généralisé.

Si on accepte le diagnostic, les remèdes sont évidents. Il faut protéger nos marchés des dumpings fiscaux et monétaires, afin de faire cesser l’hémorragie d’emplois (puis d’en ramener) et de pouvoir augmenter les revenus de tous ceux qui sont en bas et au milieu de l’échelle, tout en envisageant la sortie de crise avec sérénité, car on pourra alors taxer les hauts revenus et les entreprises sans risquer de les voir partir. D’autres que nous (J.L. Gréau et E. Todd notamment) défendent ce  » protectionnisme européen « .

Pour l’instant de telles perspectives sont inenvisageables tant le libre-échange et la libre circulation des capitaux paraissent des institutions intouchables.

Le soutien budgétaire va donc devoir continuer. Aux Etats-Unis (ou en Grande-Bretagne) les choses peuvent techniquement aller assez loin parce que la banque centrale peut racheter les obligations du Trésor si le marché vient à défaillir. La FED détient déjà aujourd’hui environ 6% du PIB des USA en bons du Trésor et des agences fédérales, et environ 5% en créances hypothécaires privées. En réalité il n’y a pas de limite technique à l’absorption par la FED du déficit de l’Etat, pourvu que les impôts couvrent tout de même les dépenses courantes de l’Etat. Le danger est ailleurs, il est que les investisseurs prennent peur et que le dollar ne baisse de manière incontrôlée. Dans ce cas on aurait une nouvelle crise.

En Europe nous sommes encore plus mal lotis, car la banque centrale ne rachète pas d’obligations des Etats. Pour deux raisons. Premièrement il faudrait organiser la répartition des achats aux différents gouvernements, ceci aujourd’hui n’est pas prévu. Plus fondamentalement, le traité de Maastricht interdit de telles pratiques, qui restent condamnables aux yeux des orthodoxes, et en premier lieu aux yeux du gouvernement allemand. Ce n’est pas le récent virage à droite en Allemagne qui va arranger les choses. En France le déficit public sera cette année de 8,2% du PIB environ, et 8,5% l’an prochain. Ce rythme ne pourra pas être tenu très longtemps. Dès 2010 les pressions seront fortes pour freiner l’augmentation de la dette.

Et le chômage continuera d’augmenter, ou en tout cas restera très élevé. Les dirigeants européens ouvriront-ils les yeux ? On peut l’espérer, quoique la nécessité du consensus à 27 rende peu optimiste sur une telle issue.

Si on ne fait rien, des troubles ne sont pas exclus. La situation sociale et politique (notamment si comme il est probable l’euro monte notablement) évoluera différemment suivant les pays mais pourrait devenir intenable dans un pays particulier, qui pourrait envisager de jouer cavalier seul. En tout cas certains prennent date(1), et le débat promet d’être intéressant lors des prochaines échéances électorales.

 

 


 

(1) Jacques Sapir propose pour la France une sortie temporaire de l’Euro. Voir :  » Un an après &   » J. Sapir Le blog d’André Gunther http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/09/15/1053-un-an-apres