Editorial: Actualité de la crise

Déjà 4 mois depuis mai 2009. Nous faisions alors le point de la crise sur un ton assez pessimiste. Aujourd’hui nous constatons que l’optimisme ne cesse de progresser. La Bourse de Paris, miroir de l’humeur des investisseurs concernant l’économie française, a repris plus de 40% depuis sont plus bas à 2500 (Mars 2009).

Il y a certes des raisons de se réjouir. La crise financière, qui s’est déclenchée il y a un an avec la faillite de Lehman Brothers, est terminée, en ce sens que les banques sont de nouveau  » liquides  » (elles se prêtent facilement des fonds sans primes de risques excessives), et les écarts de taux qui dénotaient une méfiance envers certains Etats ou certaines banques se sont fortement résorbés.

De même, l’économie réelle a stoppé sa descente aux enfers. Pour la première fois depuis longtemps, les prévisions de l’OCDE pour l’ensemble de la zone, ainsi que celles du FMI pour l’économie mondiale, ont été révisées en hausse. On vient même d’annoncer que la France et l’Allemagne ont eu une croissance faiblement positive (+0,3% en rythme annuel) au 2ème trimestre. Certes, cette embellie est fragile. Pour la France, les soldes positifs sont la consommation des ménages (+0,3%) et le solde extérieur (+0,9%) dopé par l’automobile et les primes à la casse étrangères (notamment en Allemagne). L’investissement est encore en forte baisse (-1%).

Et surtout le chômage augmente encore partout, quoiqu’à un rythme plus faible que par le passé.

Alors sortons-nous réellement de cette crise ? La croissance va-t-elle reprendre suffisamment pour enfin créer des emplois au lieu d’en détruire ?

Malheureusement, nous ne sommes toujours pas vraiment optimistes. La croissance est encore loin du potentiel de l’appareil de production, et devrait le rester en 2010. Les capacités excédentaires seront donc encore plus grandes fin 2010 qu’elles ne le sont maintenant, il faut donc s’attendre à ce que la hausse du chômage continue encore en 2010 et 2011. Qui plus est, qui peut croire que les emplois détruits dans les pays développés seront recréés dans ces mêmes pays, et non dans les pays à bas salaires ? Par ailleurs on ne voit pas vraiment comment la demande mondiale pourrait repartir. Le moteur de l’économie d’avant-crise, le consommateur anglo-saxon endetté, est bien grippé. On estime(1) que le secteur privé américain avait en 2007 une épargne nette de -2,4% du PIB, alors qu’on prévoit +7,9% en 2009. Cette remontée de l’épargne de plus de 10 points de PIB des USA est une masse énorme. Bien entendu ceci est compensé partiellement par un déficit budgétaire de 7,3% supplémentaires et une diminution de 3% du déficit extérieur.

Mais que se passera-t-il à l’avenir ? Il est probable que la prudence des consommateurs est due en grande partie à leur désir plus ou moins forcé de se désendetter. Le crédit à la consommation aux Etats-Unis a commencé à baisser à la fin de 2008, pour atteindre en Juillet -10,5% en rythme annuel. Mais il y a loin d’ici un désendettement significatif, étant donné la montagne de dettes accumulée.

Si le secteur privé reste prudent, d’où peut venir la demande supplémentaire ? Le secteur public va-t-il continuer de compenser ? Il ne peut le faire longtemps sans risque de rendre les dettes incontrôlables. Les pays émergents vont-ils devenir raisonnables et doper leur demande intérieure en réévaluant leurs monnaies ou en sécurisant leurs consommateurs ? Rien n’est moins sûr et de toute façon on ne peut en demander autant dans un délai court.

Dans ces conditions, croire que nous reviendrons à terme rapproché à la situation  » normale  » d’avant 2007 est du domaine du rêve.

Cette situation plutôt angoissante de l’économie réelle contraste avec l’euphorie des milieux financiers. Les gouvernants anglo-saxons espèrent revigorer un secteur qui était une part importante de leur économie. Les autres dirigeants essaient de penser au futur et d’éviter un retour des aléas moraux (prises de risques privées mais assurées par la collectivité). Le moins qu’on puisse dire est que de ce côté la situation n’a guère évolué. Le problème des bonus n’est pas déterminant. Une limitation de ces bonus n’empêchera pas l’imagination des financiers pour faire des profits sur des produits aussi sophistiqués qu’obscurs.

Du côté des paradis fiscaux, on se polarise sur l’évasion fiscale des particuliers, mais nous n’avons nulle part entendu parler d’une limitation du droit des entreprises à établir une filiale dans un territoire où l’impôt est nul ou très faible. Eva Joly a mis la BNP au défi de publier les comptes de ses filiales dans les paradis fiscaux. On attend toujours.

Globalement on peut dire que les banques, grâce à l’argent des contribuables et aux marges d’intérêt qu’on les laisse prendre, sont maintenant encore plus fortes qu’avant la crise, le risque systémique en cas de reprise est donc au moins aussi grand.

Dernier sujet pour faire un point complet : même si la franche reprise n’est pas pour tout de suite, sommes-nous pour autant à l’abri d’une grave rechute ? Une réponse affirmative semble elle aussi assez répandue. Pierre-Antoine Delhommais titrait il ya quelques jours dans un de ses papiers (Le Monde) :  » La crise de 1929 n’aura pas lieu « . Mais il y a aussi des scenarios nettement plus noirs. Il convient à ce sujet de lire attentivement le prochain numéro de la revue  » Finance & Développement  » du FMI, qu’Olivier Blanchard, chef économiste, a présenté le 18 Août dernier(2) . Bien des journaux n’ont repris que la première phrase  » La reprise a débuté « , mais le reste de l’article est plus pessimiste. Comme nous l’avons exposé plus haut, le scénario souhaitable est selon Olivier Blanchard une baisse de la consommation américaine et une hausse de la consommation des exportateurs structurels que sont la Chine, le Japon et l’Allemagne, afin de faire repartir la croissance mondiale sans avoir à poursuivre des déficits gouvernementaux insoutenables. Mais il prévoit :  » Ces réformes structurelles sont politiquement difficiles. […] Le processus sera vraisemblablement trop long […] pour étayer solidement la reprise avant plusieurs années.  » A la question  » Qu’arrivera-t-il si ces thérapeutiques ne sont pas appliquées ?  » Il répond :  » On peut imaginer plusieurs scénarios. La relance budgétaire peut être arrêtée et la reprise américaine demeurer très molle. Ou bien les déficits peuvent être excessivement prolongés, débouchant sur une dette insoutenable, faisant douter des obligations du Trésor américain et du dollar et suscitant une importante fuite des capitaux hors des Etats-Unis. Une dépréciation du dollar pourrait s’installer, mais de façon incontrôlée, et déboucher sur une nouvelle phase d’instabilité et de grande incertitude qui pourrait à son tour faire avorter la reprise. « 

Voilà le risque de rechute. Sa probabilité est faible aujourd’hui mais pourrait augmenter en fonction de la situation aux Etats-Unis.

 

 

 

 


 

(1) D’après Martin Wolf dans  » Risques de rechute « , Le Monde de l’économie du Mardi 8 Septembre (données OCDE).

(2) Voir  » Selon le chef économiste du FMI, ‘La reprise a débuté’, mais les dangers demeurent.  » par Alain Faujas, Le Monde du 20-8-2009.