Editorial: Quelques enseignements de la crise financière

La récente crise financière est née de l’éclatement de la bulle immobilière américaine et plus spécifiquement de l’éclatement de la bulle du crédit hypothécaire dans ce pays. Beaucoup d’encre a déjà coulé à ce sujet, et nous n’allons pas essayer de le traiter de nouveau dans son ensemble. Nous voudrions plutôt en tirer deux ou trois enseignements sur des aspects qui ne sont pas souvent relevés.

Tout d’abord, cette crise montre l’importance de la monnaie en général et du système bancaire en particulier dans les économies modernes. Parce que des banques se trouvent fragilisées et font des pertes inhabituelles, les autorités s’inquiètent d’une possible répercussion sur les entreprises. Certains parlent de récession, voire même de crise globale de l’économie. Un certain ralentissement peu déjà être noté. Est-il normal que des ratées dans la chaîne du crédit aient de telles conséquences ? D’un côté, cela conforte notre vision monétaire de l’économie. Si la monnaie déraille, quoi de plus normal qu’il y ait des conséquences ? Mais d’un autre côté, cela démontre une grave défaillance du système de régulation monétaire. On a laissé des mécanismes vitaux aux mains de spéculateurs ou de banques avides de profit, qui ne voient que leur propre intérêt. Dans cette affaire l’intérêt général, qui dans nos institutions est représenté par la banque centrale, ne semble pas avoir prévalu.

Car c’est le 2ème enseignement de cette crise. La banque centrale semble aujourd’hui impuissante à prévenir et même à maîtriser ces dysfonctionnements par l’utilisation de ses mécanismes habituels.

Prévenir elle ne veut pas, car les lois et règlements qui auraient pu empêcher la bulle hypothécaire ne sont pas de son ressort. Il aurait donc fallu qu’elle en demande la mise en Å“uvre au pouvoir politique. Or une telle démarche est contraire à sa politique d’indépendance.

Maîtriser elle ne veut pas non plus le faire par ces mécanismes habituels car elle est piégée par un discours erroné. Pour comprendre cela il faut rentrer un peu dans le détail. Les mécanismes  » standard  » d’action de la banque centrale sont les taux d’intérêt de son refinancement des banques, qu’elle fixe discrétionnairement. Par cette décision, elle fixe entièrement les taux de marché à court terme et partiellement les taux à long terme. Mais cet instrument unique a des effets de toutes sortes sur l’économie. D’un côté une hausse des taux rend le crédit plus difficile, dans le contexte actuel de défaillance du crédit il faudrait donc baisser les taux. Mais d’un autre côté une hausse des taux contrarie la demande solvable en décourageant le crédit à la consommation et immobilier, et contrarie aussi l’offre en décourageant le crédit à l’investissement et en augmentant les frais financiers des entreprises. En résumé une hausse des taux freine la croissance, une baisse des taux la favorise.

Depuis plus de 20 ans le discours de la banque centrale est qu’elle freinera la croissance si des tensions inflationnistes se manifestent. Depuis 20 ans ce discours a un sens (même si on ne l’approuve pas) parce que les tensions inflationnistes, assez faibles à vrai dire, sont dues soit à une hausse excessive de la demande, soit à une hausse exagérée des salaires, soit les deux. Dans une telle situation, le freinage de la croissance, même si on désapprouve cette logique, décourage bien la demande et les hausses de salaires. Mais aujourd’hui de toutes façons nous ne sommes plus dans la même situation. L’inflation est à la hausse dans le monde et en Europe, mais c’est une inflation par les coûts du pétrole, des matières premières et des denrées alimentaires, sur lesquels la banque centrale n’a aucun pouvoir. Par conséquent, la banque centrale refuse de baisser les taux pour aider le crédit, sous prétexte de lutte contre l’inflation, alors que ces taux ne sont d’aucun secours pour ce faire dans le contexte actuel.

En laissant le crédit se dégrader, la banque centrale risque de provoquer un ralentissement sans diminuer l’inflation, c’est-à-dire de provoquer une  » stagflation « .

Le dernier enseignement est que la banque centrale n’a pas peur de prêter de l’argent à une entreprise quand l’emprunteur est une banque en difficulté de trésorerie. On ne sait pas combien finalement la banque centrale européenne prêtera aux banques secondaires, il semble que le crédit ouvert soit de 350 milliards d’euros. C’est considérable. Elle a trouvé ce moyen pour aider les banques sans baisser les taux d’intérêt. Mais pourquoi ne pourrait-elle pas faire de même lorsqu’un secteur non financier de l’économie est en difficulté, ou au moins financer une institution capable de mener des actions pour la relance ou la productivité de l’économie ? Nous et d’autres(1)avons demandé que la banque centrale soit autorisée, et même incitée à participer ainsi au financement de la croissance. Les événements actuels nous montrent que les obstacles à une telle démarche sont artificiels.

 

 


 

(1) Nous avons demandé dans notre manifeste 2006 que la banque centrale refinance une agence publique d’investissements. Le CIPMF (Centre International Pierre Mendès-France) l’a demandé aussi dans son manifeste.