Editorial: Les termes du débat

La présidentielle est passée, on peut donc faire le point sur l’éventuelle évolution des idées dans le débat qui a eu lieu à cette occasion. Certes, pour l’instant, rien ne dit comment les déclarations des candidats, et particulièrement de celui qui a été élu, vont se traduire dans les actes et les résultats. Les cyniques diront que  » les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent « . Mais le discours n’est pas neutre. Il oriente le champ de ce qui peut être dit, et de ce qui ne peut pas l’être car ce serait perçu comme idiotie ou blasphème.

Et de ce point de vue on a noté plusieurs évolutions. D’un côté F. Bayrou a construit sa percée au 1er tour sur des attaques violentes du  » système « , à tel point que les deux autres candidats ont tous deux marqué une volonté de  » rupture  » par rapport aux pratiques et comportements du passé. Bien que ceci reste souvent vague et incantatoire, il n’en reste pas moins que l’action va devoir maintenant compter avec cette idée qu’on ne peut plus se contenter des vieilles recettes et qu’il va falloir faire du neuf, sous peine, en cas de difficultés, de se voir accusé d’immobilisme.

Par ailleurs plusieurs notions qui ne pouvaient être énoncées auparavant sans passer pour  » ringard « , voire extrémiste, ont été exprimées nettement. Premièrement, le fonctionnement de la Banque Centrale Européenne a clairement été mis en cause, tant sur sa mission que sur sa tendance à rechercher un  » euro fort « . Sur ce dernier point, les milieux économiques ont même repris le thème récemment. Le co-président allemand d’EADS a prévenu que le plan actuel de restructuration de son entreprise est basé sur un euro à 1,35 dollars, et que si le taux dépassait 1,40 $ il faudrait  » prendre des mesures supplémentaires « . De son côté, le PDG de LVMH, qui constate les difficultés croissantes d’exportation de ses produits en Asie, a demandé que la BCE n’ignore pas ce problème, et déploré que l’Europe soit  » la seule région du monde à ne pas utiliser la monnaie comme une arme économique « .

Deuxièmement, les 3 principaux candidats ont clairement appelé à des mécanismes de protection contre les délocalisations, mécanismes qui ne peuvent qu’être des barrières protectionnistes, bien qu’on refuse encore de prononcer ces mots.

Troisièmement, bien que tous aient fait haro sur la dette publique, le candidat finalement élu avait nettement pris ses distances avec cette logique comptable. Il estimait que si des investissements étaient nécessaires, le déficit pourrait ne pas baisser à court terme, même s’il visait une baisse de la dette à la fin du quinquennat. Ceci a été confirmé depuis, puisque F. Fillon a déclaré récemment que « Il faut savoir parfois investir un peu pour ensuite faire des économies importantes. « 

Sur tous ces points, les candidats ont dû, pour attirer les électeurs, reprendre une partie des thèmes des partisans du  » non  » au référendum sur le traité constitutionnel. La conséquence est que la dictature du discours  » politiquement correct  » libéral-européiste a été entamée. Au minimum le discours de ceux qui mettent en cause la politique de la BCE, l’euro fort, le libre-échangisme et le pacte de stabilité, s’en trouve légitimé comme jamais encore il ne l’avait été. Certains considèrent même(1) que le fait que les  » pro-système  » soient obligés de reprendre les thèmes des  » anti-système  » est le signe d’une crise politique au sein de ce système.

En tout cas, nous pouvons considérer que nos positions pour une politique monétaire plus active et un système régulé d’échange des monnaies et des biens s’en trouvent quelque peu légitimées. En particulier, à la lumière du débat qui vient d’avoir lieu, le texte de notre dernier manifeste reste tout à fait d’actualité.

 

 

 


 

(1) Par exemple J. Sapir voir son article dans le n° 532 de Respublica