Editorial: CNE, CPE, qu’en penser?

Le premier ministre a présenté ses contrats de travail CNE, puis CPE, comme des pièces essentielles de son combat contre le chômage en général, et celui des jeunes en particulier.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces nouveaux contrats prêtent à polémique. On se demande en particulier d’une part quel sera leur effet sur la création de nouveaux emplois, d’autre part s’ils accroîtront la précarité par rapport aux contrats existants.

Sur ce dernier point, il est indéniable qu’avec une période d’essai de 2 ans, pendant laquelle l’employeur peut licencier le salarié sans aucune justification, ces contrats sont plus  » précaires  » sur ce point que le CDI, et même que le CDD. Cette évidence entraîne, on le constate ces jours-ci, quelque agitation sociale. Le dispositif pourrait même avoir quelques aventures juridiques, car il n’est pas sûr que l’absence de justification au licenciement soit compatible avec le code du travail français, ou même avec la charte européenne des droits fondamentaux, qui dispose à son article 30 que  » Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, … « .

Mais parlons plutôt de leur efficacité économique, et posons nous la question suivante : quel type d’employeur embaucherait avec ces contrats qui n’aurait pas embauché avec un CDI ou un CDD ? Manifestement, c’est l’employeur qui craint de devoir dans les deux ans non seulement stopper les embauches (et diminuer les effectifs par fonte naturelle) mais de plus devoir vraiment licencier ; ou un patron de PME qui a peu de salariés. Dans tous les cas il s’agit d’une entreprise fragile avec un avenir très incertain. De ce point de vue, le CNE, qui est réservé aux PME, a sa logique, car les entreprises petites ou fragiles devraient se trouver en majorité dans cette catégorie. Mais le CPE est généralisé à toutes les entreprises, et on dit que le gouvernement pense à généraliser le CPE pour remplacer le CDD.

De toutes façons, on peut penser que si effet il y a, il sera marginal. Une étude de Paul Cahuc (professeur d’économie à Paris I) et Stéphane Carcillo (chercheur à la Sorbonne) prévoit 90000 chômeurs de moins à fin 2008 grâce au CNE. C’est peu. Les auteurs soulignent que, progressivement, les embauches plus nombreuses seront rejointes par des licenciements également plus nombreux(1). Ils rappellent aussi que les chiffres sont incertains car c’est la première fois qu’on utilise un tel dispositif.

Cette faiblesse de l’effet escompté ne nous étonne pas. Depuis M. Keynes, on sait que les entreprises n’embauchent que si elles ont des perspectives de production, et ces dernières sont déterminées par les perspectives de ventes.

On peut ajouter que devant les risques sociaux et juridiques que l’utilisation de ces contrats risque d’engendrer, certains employeurs préféreront s’abstenir, et s’en tenir aux contrats plus classiques.

Pourquoi alors le gouvernement, qui n’ignore pas tout cela, prend-t-il le risque d’un échec ? Notre analyse est qu’il y a dans cette attitude un mélange de manÅ“uvre politique et d’impuissance. La manÅ“uvre politique est qu’en même temps qu’il met en Å“uvre ces nouveaux contrats, le gouvernement finance de plus en plus de contrats aidés, notamment par le plan Borloo. Le total des contrats aidés en 2005 était de 263.000, il serait en 2006 d’environ 300.000(2). Parallèlement, la croissance de la population active a beaucoup diminué en raison du départ à la retraite des  » papy-boomers « . Son accroissement serait de 67.000 en 2005 et 40.000 par an à partir de 2006, contre 220.000 à la fin des années 1990. De sorte qu’il est plus aisé aujourd’hui qu’hier de stabiliser le chômage. Comme le nombre des emplois marchands continue de progresser faiblement (+62.000 emplois en 2005), le résultat global est une modeste baisse du chômage. Le gouvernement pourra donc présenter une baisse faible mais réelle du chômage, qu’il attribuera aux nouveaux contrats, alors que le mérite en reviendra principalement aux emplois aidés et à la baisse du nombre des nouveaux entrants sur le marché du travail.

Ceci rejoint le constat d’impuissance. En réalité, le gouvernement n’a plus aucun moyen suffisamment efficace d’influer sur la conjoncture et la création d’emploi. La politique monétaire est aux mains de la BCE, et la politique budgétaire est ligotée par le pacte de stabilité et l’ampleur de la dette. Cette politique budgétaire pourrait échapper à cette impasse, s’il était possible de diminuer drastiquement les dépenses de fonctionnement, ou d’augmenter les impôts. La première option est très difficile en période de chômage et de stagnation, il est beaucoup plus facile de changer les structures en période d’expansion. La deuxième option est rendue impossible par la liberté totale de circulation des capitaux en Europe, sur laquelle veille jalousement la Commission de Bruxelles, et qui entraîne inéluctablement la victoire du moins-disant fiscal.

On peut continuer par la politique industrielle, dont le piteux échec de la loi sur les  » industries stratégiques  » montre qu’elle aussi a été tuée par le dogmatisme de la libre concurrence. Et finir par la politique commerciale, rendue inopérante par l’absence de menace crédible de droits aux frontières de l’UE ou de l’Eurozone.

Bref le gouvernement est pratiquement impuissant. C’est pourquoi il est conduit à tourner partiellement le problème grâce aux contrats aidés et à donner le change en satisfaisant ses partisans avec les contrats CNE et CPE. Mais il est à craindre que ceci ne résolve pas le problème du chômage de masse, qui touche encore plusieurs millions de personnes en France.

 


 

(1) En aucun cas le nombre de contrats conclus ne pourra donc être une mesure du chômage évité par ces contrats.

(2) Les chiffres que nous donnons ici sont tirés de  » Une politique de l’emploi inquiétante  » par Laurent Mauduis dans Le Monde du 25-1-2006 et du dossier  » Inventaire des sésames créés par le gouvernement  » dans Le Monde de l’économie du 7-2-2006