La création monétaire : Questions-Réponses

1- La monnaie : ce sont les pièces et les billets?

Pas uniquement. La monnaie c’est bien sûr des pièces et des billets en circulation (12% de la masse monétaire en 2000 en France), mais surtout des comptes courants ou dépôts à vue, qui en constituent donc 88%.

La proportion de billets et pièces a évolué dans le temps. En 1950 elle était de 51%. Aujourd _ hui elle est autour de 15% en France. Elle est similaire dans les autres pays développés (18% en 1999 pour l _ Union Européenne).

Parmi les moyens de paiement qui permettent de dénouer une transaction au comptant, ce qu _ on appelle couramment la monnaie, les comptes courants à vue sont donc le principal.

2- La monnaie n’est-elle pas un bien comme un autre?

Non. La monnaie scripturale a la particularité unique de pouvoir être créée « ex nihilo ». Sa création ne coûte rien, si ce n’est un simple jeu d’écritures. Depuis plus de 20 ans la monnaie n’est plus du tout garantie par de l’or en réserve. On dit que l’argent s’est dématérialisé.

3- Qui crée la monnaie? L’Etat? La Banque de France? La Banque centrale européenne ?

La création monétaire est faite en très grande majorité (85%) sous forme d _ écritures dans les livres des banques commerciales (voir question suivante). Ces banques sont dites de second rang pour les distinguer de la Banque Centrale (auparavant la Banque de France, maintenant la BCE). Donc ces banques créent les comptes à vue, la Banque Centrale imprime et émet les billets de banque et le Trésor émet les pièces de monnaie.

4- Quand et comment les banques créent-elles de la monnaie?

Rappelons ici que les institutions financières non bancaires n’ont pas le pouvoir de créer de l’argent. Elles ne font que prêter à Pierre ce qu’elles ont emprunté à Paul.

Par contre les banques créent la monnaie, essentiellement à l’occasion de leurs opérations de crédit. En anglais « loans make deposits » (les crédits font les dépôts).

Les banques créent également, avec l _ aide de la Banque Centrale, de la monnaie contrepartie des devises qu _ on leur cède.

5- La monnaie créée n’est-elle pas plutôt fournie aux banques par la Banque Centrale quand les banques se « refinancent » auprès d’elle?

Non. L’obligation de refinancement est un mécanisme de contrôle de la masse monétaire qui permet d’éviter qu’il y ait une trop grande création monétaire. Mais, comme le dit la Banque Centrale elle-même, la création de monnaie scripturale est faite par les banques de second rang.

6-Le métier des banques c’est le commerce de l’argent des autres. Ne font-elles pas que prêter à Pierre ce qu’elles ont emprunté à Paul? Ne font-elles pas uniquement de la transformation (moyen terme en court terme)?

Non. Quand une banque fait un prêt à court ou moyen terme elle met à disposition d’un emprunteur, sur son compte courant, de l’argent qu _ elle avait ou qu’elle n’avait pas l’instant d’avant. L _ équilibre de l _ actif et du passif se fait instantanément par un simple jeu d _ écriture.

Cette possibilité est, bien sûr, limitée et contrôlée par les autorités monétaires, banque par banque, et surtout pour l’ensemble du système bancaire afin de surveiller l’émission de monnaie en circulation. Les banques doivent respecter un certain nombre de ratios « bilantiels », qui les limitent dans leurs prêts (en fonction notamment de leurs fonds propres), et disposer de « réserves obligatoires ».

7- Où le produit de cette création monétaire apparaît-il dans les comptes des banques?

La monnaie créée apparaît au bilan consolidé de l’ensemble du système bancaire comme un solde entre les nouvelles créances et le supplément d _ épargne.

8- La monnaie n’est-elle pas gagée sur l’or?

L’or a été « démonétisé » en 1973. Depuis, dans aucun pays, l’or n’est une référence monétaire. C’est une marchandise comme une autre. La monnaie n’a plus aucune valeur intrinsèque. Elle ne vaut que ce qu’elle permet d’acheter, ceci résultant essentiellement de la confiance que les utilisateurs mettent en elle, confiance elle-même fondée principalement sur la garantie de l _ Etat.

9- Qu’est ce que la monnaie permanente?

La monnaie est dite permanente quand sa contrepartie est permanente. La monnaie permanente, ne peut être détruite, comme c’est le cas de la monnaie d’endettement, qui est détruite quand le prêt qui l’a générée est remboursé. La monnaie d’endettement est donc une monnaie temporaire, auto-évanescente.

Il serait possible de créer de manière permanente la monnaie scripturale. Il suffit que ses « contreparties » soient permanentes, et non temporaires. Ce peut être, par exemple, un poste d’avance non remboursable de la Banque Centrale à l’Etat, ou l’ouverture d’un poste spécifique dans les comptes du Trésor, comme c’est le cas pour les pièces divisionnaires (voir plus loin 12).

10- Peut-on distinguer la monnaie permanente de la monnaie d’endettement?

On peut, au niveau macroéconomique, à la lecture des bilans qui permettent d’établir le niveau de la masse monétaire et de ces contreparties, mesurer la part relative de monnaie temporaire et de monnaie permanente dans l’économie. Dans la vie courante on ne peut distinguer monnaie permanente et monnaie temporaire; la « monnaie n’a pas d’odeur »; son usage et sa circulation sont indépendants des modalités de sa création.

11- Cette distinction (monnaie permanente / monnaie temporaire) a-t-elle été validée par la recherche scientifique en économie?

Oui. J.G. Gurley et E.S. Shaw (1960) ont proposé les notions de monnaie externe ou libre (de toute dette) et de monnaie interne qui recouvrent exactement les notions de monnaie permanente et temporaire. T. Gjrebine (1973) a soutenu une thèse sur une notion très voisine en 1973.

12- Quelles sont les modalités possibles de création de monnaie permanente?

On peut imaginer de nombreuses variantes techniques présentant des avantages et des inconvénients distincts à analyser avant toute mise en oeuvre concrète. On peut citer :

– l’émission de DTS (Droits de tirages Spéciaux) au niveau international, technique déjà utilisée dans le passé.

– l’avance permanente (non remboursable et sans intérêt) de la Banque Centrale au Trésor.

– la création d’un fonds spécial alimenté par la Banque Centrale.

Рla dotation directe aux citoyens de monnaie ̩mise par la Banque Centrale (proposition Jeanneney).

– l’émission de traites spéciales tirées sur une ou plusieurs entreprises publiques à échéance à court terme mais garanties par l’Etat et réescomptables à la Banque Centrale.

– l’émission de bons du Trésor « spéciaux » sans intérêt ni échéance rachetables par la Banque Centrale etc.

13- Quels sont les inconvénients de la monnaie d’endettement et les avantages de la monnaie permanente?

La monnaie d’endettement a trois inconvénients majeurs:

– elle ne peut être créée qu’en contrepartie d’un endettement supplémentaire d’au moins un agent économique public ou privé.

– sa création coûte des intérêts.

– son émission est fonction de la conjoncture économique et a un effet amplificateur et non régulateur des cycles : quand l’économie est déprimée les agents économiques ne veulent ou ne peuvent pas s’endetter; la monnaie n’est pas créée et peut venir à manquer. A l’inverse quand l’économie est en surchauffe la monnaie peut être émise en excès sauf à recourir à des actions sur les taux d’intérêt qui, elles, peuvent à terme se révéler dépressives.

La monnaie permanente a, symétriquement trois avantages :

– sa création ne génère pas d’endettement

– elle est gratuite

– elle peut être émise pour relancer l’activité si nécessaire et facilement contrôlée pour éviter les surchauffes.

14- Une création monétaire déconnectée des mécanismes de crédit n _ est-elle pas nocive ?

La création de monnaie sans contrepartie apparente choque voire scandalise de nombreux esprits qui l’assimilent à de la fausse monnaie. Cette objection plus psycho­lo­gique que technique peut être exprimée sous bien des formes.

En fait, qu’elle soit d’endettement ou permanente, la monnaie scripturale est créée dans tous les cas ex nihilo. La conception la plus élémentaire de la justice et de la morale conduit à souhaiter que le bénéfice de cette création revienne à la collectivité et non à des intérêts privés. C’est pour cette raison que M. Allais (1988) est favorable à la création monétaire au profit exclusif de l’Etat.

Malgré l _ expérience malheureuse des assignats de la Révolution et les pratiques parfois légères des autorités publiques, nous pensons que la création monétaire est un bien public &

Bibliographie

Allais, M. L’impôt sur le Capital et la Réforme Monétaire. Paris: Hermann, 1988.

Gjrebine, T. La Réforme du Système Monétaire International. Paris: PUF, 1973.

Gurley, J.G. and Shaw, E.S. « Money in a Theory of Finance, » Washington D.C.: The Brookings Institute, 1960.