Editorial: Le libre-échangisme n’est-il plus la panacée?

Jusqu’à récemment, toute allusion publique, même voilée, au protectionnisme, provoquait une levée de boucliers des politiques et des économistes, clamant que des idées aussi ringardes étaient très nuisibles à l’image du pays, et que sur le fond, la France ne pouvait que perdre à s’engager dans une telle voie.

Et puis, en quelques mois, on a pu noter une évolution très nette.

Au mois de Mai 2005 éclate l’affaire du textile Chinois. Le 13 Mai, les Etats-Unis rétablissent les quotas qui étaient tombés au 1er Janvier. Le 18 Mai la Commission de l’UE lance une procédure d’urgence. Après un bras de fer de quelques semaines, l’UE arrache le 10 Juin un accord « équilibré », tandis que le 31 Août les Etats-Unis constatent une absence d’accord et maintiennent leurs quotas.

Le 30 Mai, après le séisme du Non français à la constitution européenne, Nicolas Sarkozy, dans son discours à la presse, déclare : «  Il nous faut redonner vie à la préférence communautaire qui est l’une des raisons d’être du projet européen. (…) »

Le 8 Juin, Dominique de Villepin, dans son discours d’investiture, défend également ce concept de « préférence européenne ». Ceci n’est pas une clause de style, mais une demande expresse des députés de la majorité : « Dans nos échanges, il faut établir des règles qui permettent de privilégier l’échelon européen plutôt que les pays tiers. Les Européens doivent soutenir mutuellement leur croissance en exerçant chaque fois que cela est possible une préférence communautaire. » (Patrick Ollier, UMP).

Ces déclarations n’ont pas été pour l’instant suivies d’effets, et l’idée dominante reste celle d’un libre-échange inéluctable et bénéfique, mais le simple fait qu’elles aient pu être tenues sans être relevées avec indignation est remarquable en soi.

A partir du mois de Juillet, des voix s’élèvent dans différents pays pour évoquer la possibilité de sortir de l’Euro. Bien que ceci ne soit pas du protectionnisme commercial, la motivation est clairement de retrouver des marges de manoeuvre nationales pour se protéger des influences supposées néfastes de l’extérieur. Le 28 Juillet, Silvio Berlusconi qualifie l’euro de « désastre ». On apprend aussi que seulement 48% des Italiens sont favorables à l’Euro et que la Ligue Lombarde aura bientôt les 500.000 signatures nécessaires à la tenue d’un référendum sur le sujet.

Au même moment une étude de Patrick Artus se demande « … si l’évolution à moyen terme de la situation économique de la France et surtout de l’Italie ne rendra pas les avantages liés à la sortie de l’euro supérieurs aux coûts. »

Pendant l’été, Angela Merkel, dans sa campagne électorale, met en avant des baisses d’impôt sur le revenu, financées par une hausse de la TVA, et défend ce mécanisme par l’argument que la TVA est une protection puisque les exportateurs ne la paient pas. Elle découvre ainsi les bienfaits de la « TVA sociale » défendue en vain en France depuis plus de 20 ans par différentes associations.

Fin Juillet, le gouvernement français intervient dans l’affaire Danone, et Dominique de Villepin met en avant la notion de « patriotisme économique ». Il annonce aussi différentes mesures de contrôle des investissements étrangers, de prévention contre les OPA dans des secteurs sensibles, et de financements à destination de « pôles de compétitivité ».

Enfin, plus récemment éclate l’affaire Hewlett-Packard. Bien que le gouvernement français ait bien peu de moyens pour infléchir le cours des choses, et que la Commission Européenne se déclare incompétente, l’idée s’impose que ceci n’est pas une situation normale.

En conclusion, nous constatons que, par différents canaux, le libre-échangisme n’est plus tout à fait l’alpha et l’oméga du succès économique. Le mot « protectionnisme » est certes toujours tabou, même avec précautions, mais il devient envisageable de défendre le concept avec d’autres mots.