Fiche N° 6 : Monnaie permanente, monnaie d’endettement

Dans la Fiche N°2, nous avons développé comment les banques fabriquent de la monnaie en accordant des crédits. Il y a d’autres moyens. Le cas le plus général est l’acquisition par les banques secondaires, ou par la banque centrale, d’un actif, payé en créditant le compte du vendeur du montant de l’achat. On dit que la banque peut  » monétiser  » l’actif. Cet actif peut être un immeuble, un titre, des devises étrangères, ou, dans le cas courant, une créance de prêt ordinaire. Les actifs non financiers, par exemple les immeubles, ont un impact sur le compte d’exploitation et leur acquisition est encadrée par la loi. L’acquisition de titres ou de devises est par contre une cause de création monétaire bien réelle, tout comme le crédit.

Par ailleurs, un crédit est généralement remboursable. De même que le crédit initial crée la monnaie correspondante, le remboursement la fait disparaître. Les crédits non remboursables sont rares. Ils sont plutôt le fait de la banque centrale. Dans un tel cas la monnaie créée au départ ne disparaît jamais, tout comme lorsque la banque centrale achète de l’or et le stocke indéfiniment.

 

Définition

La monnaie est dite permanente quand sa contrepartie (l’actif monétisé) est permanente. La monnaie permanente ne peut être détruite, contrairement à la monnaie d’endettement, qui est détruite quand le prêt qui l’a générée est remboursé. La monnaie d’endettement est donc une monnaie temporaire,  » auto-évanescente « .

Il est possible de créer de manière permanente la monnaie scripturale. Il suffit que ses « contreparties » soient permanentes, et non temporaires. Ce peut être, par exemple, un poste d’avance non remboursable de la Banque Centrale à l’Etat, ou l’ouverture d’un poste spécifique dans les comptes du Trésor, comme c’est le cas pour les pièces divisionnaires.

 

Peut-on distinguer la monnaie permanente de la monnaie d’endettement ?

On peut, au niveau macroéconomique, à la lecture des bilans qui permettent d’établir le niveau de la masse monétaire et de ses contreparties, mesurer la part relative de monnaie temporaire et de monnaie permanente dans l’économie. Dans la vie courante on ne peut distinguer monnaie permanente et monnaie temporaire; « la monnaie n’a pas d’odeur »; son usage et sa circulation sont indépendants des modalités de sa création.

 

Cette distinction (monnaie permanente / monnaie temporaire) a-t-elle été validée par la recherche scientifique en économie?

Oui. J.G. Gurley et E.S. Shaw (1960) ont proposé les notions de monnaie externe ou libre (de toute dette) et de monnaie interne qui recouvrent exactement les notions de monnaie permanente et temporaire. T. Gjrebine (1973) a soutenu une thèse sur une notion très voisine.

 

Quelles sont les modalités possibles de création de monnaie permanente?

On peut imaginer de nombreuses variantes techniques, présentant des avantages et des inconvénients, à analyser avant toute mise en oeuvre concrète. On peut citer :

– l’émission de DTS (Droits de tirages Spéciaux) au niveau international, technique déjà utilisée dans le passé. Cela revient à créer une devise éternelle que les pays qui les reçoivent peuvent monétiser.

– l’avance permanente (non remboursable et sans intérêt) de la Banque Centrale au Trésor. C’est un crédit non remboursable.

– la création d’un fonds spécial alimenté par la Banque Centrale. C’est aussi un crédit non remboursable, au profit de ce fond qui peut le monétiser.

– la dotation directe aux citoyens de monnaie émise par la Banque Centrale (proposition Jeanneney). En billets c’est évidemment permanent. En monnaie scripturale ce serait encore un crédit non remboursable de la banque centrale.

– l’émission de traites spéciales tirées sur une ou plusieurs entreprises publiques, à échéance courte mais garanties par l’Etat, et réescomptables à la Banque Centrale. Si celle-ci ne demande pas le remboursement, c’est encore un crédit non remboursable.

– l’émission de bons du Trésor « spéciaux », sans intérêt ni échéance, rachetables par la Banque Centrale .C’est la même mécanique que les traites, au profit du Trésor.

– etc…

On voit que les techniques financières ne font pas défaut pour fabriquer une telle monnaie permanente. Ajoutons que les mécanismes de la monnaie d’endettement peuvent être dans certains cas utilisés pour produire une monnaie qui a toutes les caractéristiques de la monnaie permanente. Si par exemple la Banque Centrale achète régulièrement chaque année plus de titres de l’Etat qu’il n’en vient à échéance, la masse de monnaie ainsi créée est, dans son ensemble, permanente, puisque sa quantité ne cesse de croître. Cette situation existe aux Etats-Unis, où la Banque Fédérale augmente chaque année la quantité de titres à son actif, de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

 

Quels sont les inconvénients de la monnaie d’endettement et les avantages de la monnaie permanente?

La monnaie d’endettement a trois inconvénients majeurs:

– elle ne peut être créée qu’en contrepartie d’un endettement supplémentaire d’au moins un agent économique public ou privé.

– sa création coûte des intérêts.

– son émission est fonction de la conjoncture économique et a un effet amplificateur et non régulateur des cycles : quand l’économie est déprimée les agents économiques ne veulent ou ne peuvent pas s’endetter; les banquiers prêtent difficilement ; la monnaie n’est pas créée et peut venir à manquer. A l’inverse quand l’économie est en surchauffe la monnaie peut être émise en excès sauf à recourir à des actions sur les taux d’intérêt qui, elles, peuvent à terme se révéler dépressives.

La monnaie permanente a, symétriquement, trois avantages :

– sa création ne génère pas d’endettement

– elle est gratuite

– elle peut être émise pour relancer l’activité si nécessaire lorsque l’économie est en récession. Une stricte procédure de contrôle est à mettre en place pour éviter les surchauffes.

 

Une création monétaire déconnectée des mécanismes de crédit n’est-elle pas nocive ?

Il est indiscutable que la monnaie est toujours créée ex-nihilo, qu’elle soit permanente ou temporaire. La différence est que pour la monnaie temporaire, la création se fait  » toute seule  » et sans le dire, à l’occasion de l’endettement des agents économiques et de l’Etat, qui est indirectement et imparfaitement régulé par la Banque Centrale et ses taux d’intérêt.

Au contraire, pour la monnaie permanente, la quantité créée est déterminée par des experts, ceux-ci étant éventuellement contrôlés par des instances démocratiques. Beaucoup de personnalités de bonne foi ne font pas confiance à ce processus et craignent que l’Etat ne profite abusivement de ce mécanisme, comme cela est arrivé quelquefois dans le passé récent.

Certains soutiennent que la justice et la morale commandent que ce bien public soit créé par la collectivité et non par des intérêts privés. C’est ainsi que Maurice Allais (prix Nobel d’économie) est favorable à la création monétaire au bénéfice exclusif de l’Etat.

Si on se place sur le terrain purement économique, il faut simplement se demander si on ne pourrait pas trouver des mécanismes qui amoindrissent ou éliminent les dangers supposés de la monnaie permanente et permettent ainsi de profiter de ses avantages.



7 commentaires pour “Fiche N° 6 : Monnaie permanente, monnaie d’endettement”

  1. 1. dans la création de monnaie permanente par la banque centrale( avances au Trésor non remboursable , DTS , création de fonds spéciaux , dotations …) ces sommes figurent je suppose au passif de la BC , et quelle en est la contrepartie comptable ?
    2.pourquoi donc les Européens nous sommes nous privés de la création déséquilibrée de bons du Trésor ( plus d’ émission que de rachats ) , ce qui nous désavantage par rapport aux USA ??? comment un tel choix a été justifié par les responsables à la création de la BCE ?
    3.les BC nationales peuvent elles à leur tour émettre des équivalent de bons « vendus » à la BCE ?

  2. @André
    1. Non, ce sont des créances, même si elles ne sont pas remboursées, les créances sont à l’actif. Au passif le montant en est porté au bénéficiaire (compte du Trésor si c’est l’Etat).
    2. Le Traité de Maastricht interdit le rachat de titre d’Etat par la Banque Centrale, contrairement aux autres Banques Centrales.
    3. Les BC nationales sont du point de vue bancaire des succursales de la BCE, elles sont soumises aux mêmes contraintes.
    🙂

  3. Récemment devant la commission de surendettement je comprends tout à fait le sens de votre analyse. Je vais parler de votre site autour de moi

  4. Quelle arnaque!

  5. Pour parler du mécanisme décrit par Grandjean et Galand dans « la Monnaie dévoilée », l’économie hitlérienne : -l’émission de traites spéciales tirées sur une ou plusieurs entreprises publiques, à échéance courte mais garanties par l’Etat..;je signale un auteur et un ouvrage paru en 2010(c’est un historien qui me l’a signalé) :
    Adam Tooze, « Le Salaire de la Destruction. Formation et ruine de l’économie nazie ». cet auteur semble (je n’ai lu que des commentaires) fortement atténuer les performances de l’économie hitlérienne de 1933 à 1936, il ne semble pas en particulier s’attarder sur ces traites de travail ou traites dites « MEFO » qui ont ou auraient? expliqué largement le financement de cette très forte croissance de la période 33-36 et la réduction du chômage afférente…
    A ce sujet, et sans considérer le point de vue de Tooze, mis à part la résistance psychologique, sans doute particulièrement forte chez les allemands qui ont du mal à regarder leur propre histoire…, on peut se demander ce qui retiendrait l’UE d’utiliser de tels outils pour un plan de relance européen ciblé sur des priorités écologiques, de transition énergétique…ou si elle ne le fait pas elle même directement par la BCE qu’elle délègue l’opération aux banques centrales nationales ?
    A.M.

  6. Merci pour votre article. J’aurais 2 questions :
    – Vous dites que l’acquisition d’actifs non financiers (immeubles) par les banques est encadrée par la loi, et ne donnerait pas lieu à de la création monétaire bien réelle. Puis-je vous demander de préciser ces limites ? (éventuellement, de quel texte de loi il s’agit ?)
    – Auriez-vous une estimation de la proportion entre monnaie permanente et monnaie temporaire dans l’économie aujourd’hui ?
    Merci !

  7. @Sam
    1)Il n’est pas dit qu’il n’y a pas de création monétaire. En fait, ce qu’on a voulu dire ici est que cette création monétaire ne pouvait pas être incontrôlée, car toute dépense réelle se débite en dépenses dans le compte d’exploitation. Une banque ne peut donc pas acheter toute la France comme certains le croient. Une banque ne manque jamais de trésorerie mais peut pourtant faire faillite!
    2) La proportion de monnaie permanente est aujourd’hui très faible. Le stock d’or en Banque de France est de l’ordre de 70 milliards d’euros, tandis que la masse monétaire est 10 fois plus importante. Suivant ce qu’on met dans les actifs « permanents », la proportion est donc de 10 à 15%.

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