Editorial: La nécessité de la création monétaire

Pas de croissance sans création monétaire : une nécessité mathématique encore incomprise

Le prix Nobel d’économie vient d’être attribué à Finn Kydland et Edward Prescott, deux théoriciens qui expliquent les cycles économiques par des  » chocs d’offre  » (progrès technologique, renchérissement du pétrole…) et la croissance américaine par la quantité de travail (toujours l’offre) elle-même due aux incitations fiscales au travail.

L’ancien président du FMI, Michel Camdessus, vient de remettre son rapport au ministre des finances, dont les propositions sont du même tabac. Travailler plus, rendre le droit du travail plus flexible etc.

L’heure semble donc être à la domination sans partage des thèses des économistes de l’offre. Il est donc plus que jamais nécessaire(1) de réaffirmer l’évidente nécessité d’une politique de soutien de la demande solvable. Nécessité qui fait de la création monétaire une condition sine qua non de la croissance économique, durable si possible, ceci étant un autre débat…

Rappelons que Jean-Baptiste Say a laissé son nom à une loi aussi célèbre délicate d’interprétation. En substance il affirma qu’il ne saurait y avoir de crises de débouché dans une économie de marché,  » l’offre créant sa propre demande « , selon la formulation popularisée par Keynes, lors de sa critique de la dite loi. Say a écrit exactement :  » chaque produit achevé paie, par la valeur qu’il a acquise, la totalité des services qui ont concouru à sa création « .
En régime d’économie stationnaire, il est bien vrai que la valeur des biens et services produits est égale aux revenus (salaires + profits) distribués pour les réaliser. Dit autrement  » Les dépenses des uns sont les revenus des autres « . La condition de validité (en régime stationnaire) de cette  » tautologie  » est qu’il n’y ait variation ni de stock ni d’épargne.

En revanche en période de croissance les données sont différentes. Raisonnons sur deux périodes, 1 et 2 et supposons qu’il n’y ait pas de constitution de stock ni d’épargne en période 1. En période 1 les revenus distribués sont égaux à la production de la période, inférieurs par hypothèse à la production de la période 2. Ils ne peuvent donc suffire à acheter cette production, sauf si les prix unitaires baissent d’autant.

Seule la déflation permet donc de rétablir l’équilibre de la loi de Say. Inutile de dire que cette déflation n’est vraiment pas souhaitable et qu’elle est d’ailleurs historiquement synonyme de marasme et de tension. Dans un contexte à la fois souhaitable, et très généralement observé dans l’histoire économique, de croissance (légère ou forte) des prix unitaires, le pouvoir d’achat disponible sans recours au crédit est toujours insuffisant pour écouler une production croissante. La loi de Fisher nous permet de le voir autrement : si MV= PT (M : masse monétaire, V : vitesse de circulation, supposée constante dans ce raisonnement, P : niveau des prix, T quantité de transactions) T ne peut augmenter, à P non décroissant que si M augmente.

La conclusion s’impose d’elle-même : seul le recours au crédit (et précisément la croissance du solde crédit-épargne) permet la croissance économique. Cette croissance du solde crédit-épargne s’accompagne ipso facto de croissance de la création monétaire.(2).

Bien sûr, cette condition mathématiquement nécessaire ne suffit pas. Il est clair que si les chefs d’entreprise sont englués dans des contraintes de tous ordres, ils ne seront pas incités à aller de l’avant. Mais cette condition est de deuxième ordre, comme le savent tous ceux qui ont dirigé des entreprises : seule la perspective de croissance des commandes est génératrice de créations d’emplois et d’investissements et, in fine, de croissance.

Reste à déterminer comment s’y prendre pour accroître ce pouvoir d’achat d’origine financière. Jean-Baptiste Say, encore lui, pensait que cela se faisait tout seul :  » Quand l’argent vient à manquer à la masse des affaires, on y supplée aisément « . Nous doutons de cet optimisme et pensons au contraire que quand l’argent manque il faut que la puissance publique s’en soucie. Malheureusement, il semble bien qu’aujourd’hui le seul souci de nos dirigeants soit d’en organiser la pénurie, au lieu de l’abondance dont Antoine Brunet rappelle(3)la vertu :

 » Lorsque la création monétaire est abondante elle contribue à ce que la demande internationale dépasse la production du trimestre antérieur de manière à favoriser un taux de croissance significatif et régulier.  » 


(1) Voir à ce sujet le papier de Gabriel Galand « Offre ou demande, telle est la question. »

(2) A ma connaissance c’est l’économiste Knut Wicksell qui a fait cette constatation le premier.

(3) Dans le livre  » Les désordres de la finance  » publié sous la direction de Dominique Plihon aux éditions Universalis en 2004.