Questions-Réponses : Monnaie et Inflation

1. N’est-il pas établi historiquement que « La planche à billets, c’est inflationniste » ?

Les périodes d’ "hyper-inflations" ( Système Law en 1716, Assignats révolutionnaires, république allemande de Weimar en 1923) ont marqué les esprits(1)en profondeur. Il s’agit de périodes tout à fait exceptionnelles : ces hyper-inflations se sont produites dans des pays quasiment ruinés (une France exsangue après le règne de Louis XIV et au début de la révolution, une Allemagne étranglée de dettes après le traité de Versailles) où le pouvoir politique était dans l’impasse et s’est lancé dans une fuite en avant éperdue.

Dans un contexte plus normal, laisser la possibilité à un Etat de payer ses dépenses par la planche à billets sans aucun contrôle, peut entraîner une perte de confiance dans la monnaie, une fuite devant la monnaie, et une spirale inflationniste. Mais il faut noter que le système bancaire crée chaque année de la monnaie, création monétaire nécessaire au développement des échanges. La création monétaire n’est donc pas inflationniste en soi. Elle ne devient inflationniste que si elle est faite de manière excessive. Que ce soit l’Etat ou les banques qui créent cette monnaie n’a, bien sûr, aucun impact sur le caractère inflationniste de la création monétaire. L’essentiel dans tous les cas est de mettre en place un système de contrôle sérieux.

2. Ignorez-vous que les épisodes hyper-inflationnistes dans le monde ont été nombreux au XX°siècle et en général dus au laxisme des gouvernements ?

Les épisodes « hyperinflationnistes »(hausse des prix supérieur à 50% par an) ne se sont produits que dans des pays en voie de développement et principalement situés dans trois zones : l’Amérique du sud, l’Afrique et l’Europe de l’Est après l’effondrement du mur de Berlin. L’Allemagne et l’Autriche après la guerre de 1914 étaient des pays détruits. Il n’est pas possible de comparer ces pays et la politique monétaire à y conduire avec le cas des pays développés et surtout structurés.

3. L’inflation a été terrassée dans les principaux pays occidentaux dans les années 80, grâce à la rigueur budgétaire et monétaire. Ne craignez-vous pas que vos propositions la fassent renaître ?

Pendant les trente glorieuses en France l’inflation a été plutôt modérée. Elle s’est accélérée dans les années 70 du fait de la hausse du prix des produits pétroliers. La Fed a décidé en 1979 une hausse brutale des taux d’intérêt, qui a eu des conséquences dramatiques en Amérique du sud et s’est accompagné d’un ralentissement e la croissance. L’inflation a été terrassée mais à quel prix ? En France nous subissons depuis 20 ans une politique restrictive qui combat le risque d’inflation au prix d’une récession rampante. Les bénéficiaires de cette politique sont les rentiers mais ce ne sont pas les moteurs de l’innovation du développement économique.

De nombreux économistes estiment qu’une inflation modérée (inférieure à 5 % pour donner un ordre de grandeur) est bénéfique à l’activité sans inconvénient macroéconomique sérieux. Un pilotage de la création monétaire au vu d’une série d’indicateurs permettra de contenir l’inflation à ce niveau.

4. La monnaie n’est qu’un voile sur les échanges. Elle n’a aucun pouvoir sur l’activité.

La thèse classique de la neutralité de la monnaie sur l’activité, formulée par J.B. Say fait fi des leçons de l’histoire. La France a pris un retard considérable dans les débuts du capitalisme au XVIII° s. en raison de l’échec spectaculaire de Law. Le pays a perdu confiance dans la monnaie papier ce qui n’a pas été le cas par exemple au Pays-Bas. A l’évidence, le développement économique repose sur celui des échanges qui nécessite celui des moyens de paiement. A l’époque où la monnaie était encore majoritairement produite et non créée ces moyens pouvaient manquer cruellement. A l’inverse, nombreuses sont les périodes de l’histoire de l’Europe où l’afflux d’or ou d’argent a donné un nouveau souffle au pays qui en bénéficiait(2).

5. La hausse des prix n’est-elle pas toujours due à une émission excessive de monnaie ?

L’affirmation des économistes monétaristes, selon laquelle l’excès de monnaie est la seule cause de l’inflation, est purement dogmatique. L’inflation a bien d’autres causes que la monnaie. Il est évident qu’à volume physique d’échanges donné, un système de prix relatif plus élevé nécessite plus de liquidité, toutes choses égales par ailleurs, qu’un système de prix moins élevé (c’est la fameuse équation de Fisher : M.V = P.T.). Mais cela ne permet pas de conclure que l’excès de monnaie est la cause de toute hausse des prix ni que la restriction monétaire est la seule méthode pour éviter l’inflation. Les statistiques dans le pays développés montrent d’ailleurs le contraire (voir M.Lauré, Reconquérir l’espoir, Julliard, qui met en évidence une corrélation inverse entre constriction monétaire et hausse des prix).

Nous avons vécu en France une expérience réussie de réduction de la hausse des prix pendant la décennie 80. Elle est passée de 14 % en 1980 à 3 % en 1986 principalement grâce à la désindexation des salaires qui a contribué à supprimer l’inflation par les coûts et la trop fameuse spirale : hausse des salaires, hausse des coûts, hausse des prix, revendications salariales, hausse des salaires… La constriction monétaire n’a pas été supérieure sur cette période à ce qu’elle était pendant les 10 années précédentes…

La seule chose qui soit sûre c’est que la constriction monétaire entretient la récession.

6. Le système monétaire actuel (création monétaire par les banques) permet une bonne corrélation entre monnaie et activité. Injecter de la monnaie avant de créer des richesses n’est-ce pas inflationniste ?

La monnaie est essentiellement créée par les banques à l’occasion des crédits; elle est bien sûr immédiatement utilisée et ce, éventuellement, avant toute création de richesses (crédit à l’achat de biens existants, crédit à la consommation). La corrélation présupposée entre crédit et activité est donc très lâche. En fait, ce qu’il faut, c’est injecter la monnaie en anticipation du développement puis en accompagnement de l’activité, en restant suffisamment progressif. Peu importe que ce soit à l’occasion des crédits ou autrement. Au fond, le plus difficile c’est surtout d’éviter deux risques : celui d’une injection trop brutale qui fera peur , engendrera des comportements irrationnels de fuite devant la monnaie et celui d’une injection trop progressive dont les effets mettront trop de temps à se faire sentir, ce qui décrédibilisera le plan de relance. Quoi qu’il en soit, et pour revenir à la question, il est clair qu’il est nécessaire, d’injecter le catalyseur du développement qu’est la monnaie en anticipation du développement attendu et espéré. Rappelons-le : la monnaie ce n’est pas la richesse; c’est ce qui permet aux hommes de la créer.

7. Les mesures que vous préconisez donnent le sentiment d’un recours à la facilité au moment où le pays a besoin de rigueur. Ne seront-elles pas interprétées par les marchés financiers comme inflationnistes ?

L’inflation n’est pas à craindre dans un pays où malheureusement 3 millions de chômeurs et 3 millions de personnes vivant dans des conditions précaires pèsent à la baisse sur les salaires. Et de ce point de vue les principaux pays européens sont logés à la même enseigne. Par ailleurs, la France et l’Europe ont surtout besoin d’une dynamique et de créations d’emplois : c’est la seule vraie solution pour résorber les déficits publics (par augmentation des recettes fiscales et baisse des charges sociales liées à l’économie d’assistance actuelle).

8. Comment empêcherez-vous les banques de créer de la monnaie comme aujourd’hui? N’y aura-t-il pas alors trop de monnaie en circulation et risque d’inflation?

Les autorités monétaires disposent d’outils d’observation et de contrôle de la masse monétaire. Ils bénéficient en outre de légitimité et de pouvoir.

Techniquement, plusieurs outils complémentaires au dispositif actuel sont concevables :

a) Il est toujours possible d’augmenter le taux des réserves obligatoires;

b) La BC peut, en cas de surabondance monétaire, émettre des emprunts à taux attractifs pour éponger l’excédent de liquidité.

En tout état de cause, il faut surtout éviter le plus mauvais des outils : la hausse des taux d’intérêt à court terme, qui ne permet de limiter l’inflation qu’en créant ou en entretenant un climat de récession.

9. Les capacités de production ne sont pas largement sous-utilisées. Toute relance ne butera-t-elle pas rapidement sur des tensions inflationnistes ?

La mesure des capacités de production disponibles est très difficile statistiquement. Le chiffre obtenu dépend beaucoup de la manière dont la question est posée. Deux faits majeurs sont à prendre en considération : le secteur des services pèse de plus en plus lourd dans le PIB. Or il lui est assez facile de faire face rapidement à des débouchés nouveaux (par embauche de personnel et du fait de la grande souplesse de l’informatique actuelle). Par ailleurs l’industrie a fait d’énormes progrès de réactivité et d’adaptation face à l’intensification de la concurrence. Tous les délais se sont raccourcis; elle fera donc vite face, elle aussi, à une relance des débouchés.

Le risque de tension inflationniste réapparaît quand certains secteurs ne peuvent plus suivre et font donc monter les prix; aujourd’hui le risque est plus faible que par le passé grâce à l’ouverture internationale qui permet de contourner ces goulots d’étranglement. Le risque de tension inflationniste réapparaît enfin quand le niveau de chômage redevenant plus acceptable, il n’est plus un "garde-fou" contenant automatiquement ou presque les revendications salariales. Ce risque-là est un beau risque : ne peut-on espérer qu’un minimum de cohésion sociale puisse être atteint en cas de relance réussie pour que les négociations collectives ne se fassent pas au détriment des épargnants? 10 ans d’inflation maîtrisée n’ont-ils pas eu d’effets pédagogiques?



(1) Et notamment celui des Allemands qui l’associent de plus à la montée au pouvoir d’Hitler.

(2) Ce n’est pas l’Espagne qui a tiré le meilleur profit du pillage de l’or américain, mais les Pays-Bas. L’Espagne a adopté un comportement de rentier et s’est mis à acheter aux autres pays européens. Quoi qu’il en soit cet afflux d’or a clairement stimulé le commerce et l’activité au XVI° siècle en Europe.