Peur de l’inflation à Washington.

Le relèvement de 7,5$ du salaire minimum fédéral à 15$/h a été rejeté par le Sénat. Il est vrai que la hausse projetée aurait touché plus du quart des travailleurs dans les Etats pauvres.

Le plan global de 1900 milliards de dollars est contesté par des économistes réputés tels que Larry Summers et Olivier Blanchard, pour ses dispositions à destination des classes moyennes, qui d’après eux ont été suffisamment aidées par l’administration Trump. Ils redoutent donc une surchauffe analogue à celle des années 60, avec une inflation similaire.

Jérôme Powell, le Président de la Banque Fédérale, ne croit pas à ce risque. Il rappelle qu’une dizaine de millions d’emplois ont été détruits par la pandémie et que le taux d’emploi a baissé sur un an de 61,1% à 57,5%, alors qu’au plus haut du début des années 2000 il était de 64,4%.

En fait l’obsession des craintifs est que la FED intervienne trop tard, quand juguler l’inflation est devenu trop difficile et entraine une récession.

Source : A. Leparmentier : « Les Etats-Unis se divisent sur l’inflation », Le Monde 03/03/2021

Débat autour des règles budgétaires

C’est le débat qui monte dans les sphères gouvernementales et européennes. Les critères de Maastricht (déficit inférieur à 3% du PIB et dette inférieure à 60%) amendés plusieurs fois dans le passé et suspendus à cause de la pandémie, pourront-ils être restaurés après celle-ci ?

Certains pays nordiques souhaitent les restaurer dès que possible. Mais beaucoup voient que ces critères ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui : faible croissance, inflation disparue et endettement élevé des Etats.

Réintroduire ces critères trop vite serait une politique d’austérité qui casserait la reprise comme après la crise de 2008. Mais les économistes n’ont guère de recette miracle. Olivier Blanchard voit bien le dilemme : « Le problème est le concept même de règles budgétaires invariables selon les pays et les époques. Aucune ne peut être vraiment adaptée à la diversité des situations, dont beaucoup sont d’ailleurs impossibles à prévoir. »

Ils préconisent donc des critères souples, surveillés par des organismes « indépendants » nationaux ou européens qui rappelleraient les gouvernements à l’ordre s’ils sortaient des clous, avec une instance suprême à la Cour de Justice Européenne.

Source : « Le débat monte autour des règles budgétaires européennes », Le Monde 23/02/2021

N.D.L.R. : On peut se demander si des organismes « indépendants » supplémentaires ne vont pas plutôt ajouter des problèmes. N’est-ce pas une manière d’éviter le véritable débat qui serait celui d’une monnaie unique avec une banque centrale qui doit gérer une politique monétaire unique pour 28 pays trop différents ?

Le tabou de la dette mis en cause en Allemagne ?

Mardi dernier 26 le bras droit d’Angela Merkel, Helge Braun, chef de la chancellerie fédérale, a déclaré que « il serait judicieux de combiner une stratégie de relance de l’économie allemande avec un amendement à la Loi Fondamentale prévoyant un corridor pour de nouveaux emprunts sur une base limitée ».

Une telle déclaration, même avec les expressions modérées qu’elle contient est très étonnante de la part d’un haut responsable de la CDU. Aussitôt, les ténors de la droite se sont relayés pour condamner ces propos. Le chef des députés conservateurs au Bundestag a déclaré : « Il n’y a pas de majorité dans le groupe pour modifier la règle constitutionnelle du frein à la dette. » Même la chancelière a dû déclarer que M. Braun avait exprimé une « opinion personnelle ».

Mais tout le monde n’est pas de cet avis en Allemagne. Le coprésident des Verts a déclaré : « C’est une bonne chose que la chancellerie et Helge Braun trouvent le courage de dire enfin la vérité : le frein à la dette n’est plus tenable […] il rendrait impossible les investissements nécessaires dans la protection du climat, le numérique, les mobilités et l’éducation. » Même des économistes réputés proches du patronat et des milieux d’affaire se sont mis à questionner la politique du « zéro noir » (« Schwarze Null, c’est ainsi qu’on appelle en Allemagne l’obsession d’un strict équilibre budgétaire).

A huit mois des élections législatives, il est possible que ce débat devienne un thème central de la campagne électorale.

Source : T. Wieder « En Allemagne, un tabou se lève sur la dette », Le Monde 28/01/2020

N.D.L.R. : Décidément les choses bougent en Allemagne. Plan de soutien à l’économie d’ampleur inédite de 1200 milliards d’euros, plan de relance européen financé par un endettement commun, politique industrielle active en investissant massivement dans des secteurs stratégiques comme l’hydrogène, l’intelligence artificielle ou les batteries électriques, et maintenant remise en cause de l’équilibre budgétaire même hors circonstances exceptionnelles, qui aurait parié sur de telles évolutions de la part de l’Allemagne ?

L’Allemagne vraiment keynésienne ?

En Septembre dernier nous avions relevé que pour le plan de relance « anti-Covid », l’Allemagne avait frappé très fort et selon des méthodes dont elle n’était pas coutumière (voir notre billet de l’époque).

Il s’avère que ceci n’était pas seulement une exception. Une transformation des esprits est en cours outre-Rhin. L’Allemagne prend conscience de l’érosion de son modèle industriel et commercial classique, et de sa fragilité face aux Etats-Unis et à la Chine. Et ceci l’amène à remettre en cause sa pensée ordo libérale dans laquelle l’Etat régule mais se mêle le moins possible des entreprises.

Plusieurs événements ont favorisé cette évolution. D’abord les frontières se sont fermées en Europe en mars 2020. La libre circulation est bloquée. Les chaînes de production qui s’étendent dans certaines directions sont rompues (par exemple en Italie du Nord). L’industrie automobile allemande, premier secteur industriel du pays, cale.

Ensuite certains biens deviennent inaccessibles, par exemple les masques.

Enfin la faillite frauduleuse de Wirecard montre la fragilité de la place financière allemande. Celle-ci ne sait pas détecter les fraudes et est incapable de financer correctement les innovations de rupture. Les entreprises allemandes se méfient des marchés financiers et se financent plutôt auprès de leurs banques, qui sont incapables de financer les investissements les plus risqués.

Un autre exemple retentissant est le succès de BioNtech, qui arrive la première dans la course au vaccin. Elle doit son succès au soutien de deux milliardaires, les frères Strungmann. Mais ils ont dû s’allier avec Pfizer et introduire l’entreprise en bourse à New York.

La BDI, la grande fédération industrielle allemande, a publié dès 2019 un rapport demandant de « renforcer la souveraineté technologique » européenne face aux plateformes américaines et chinoises.

En résumé, il faut rendre l’Europe si forte qu’elle ne soit jamais forcée de choisir un camp ou l’autre. Tout un programme …

Source : C. Boutelet « Berlin se convertit à la politique industrielle » Le Monde 26/01/2021.

Chine: en route vers la monnaie virtuelle ?

La Chine multiplie les tests de monnaie virtuelle.

En Octobre, la Banque Centrale a distribué 200 yuans (25 euros) virtuels à 50.000 habitants. Ils ont réalisé 62.000 transactions dans 3300 magasins habilités à encaisser cette monnaie pendant 1 semaine. De plus cette monnaie était utilisable pour des achats en ligne.

En Décembre à Suzhou (10 millions d’habitants) même distribution de 200 yuans cette fois-ci à 100.000 habitants pendant 15 jours.

Cette monnaie ne déroute pas les chinois car ils sont habitués à payer avec leur mobile et avec des monnaies privées comme Alipay ou We-Chat Pay (les deux géants cumulent 94% des paiements en ligne). La monnaie digitale quant à elle est distribuée par l’intermédiaire de 6 banques publiques.

Un avantage collatéral de cette monnaie virtuelle pour le gouvernement est qu’elle permet de collecter des données sur les habitudes de consommation des citoyens. La récente disgrâce de Jack Ma, fondateur d’Alibaba, serait liée à son refus de transmettre ces données à la Banque Populaire de Chine.

S’il en était ainsi, il est possible que la Banque Centrale cherche à éliminer ses rivaux pour régner en maître sur cette prestation. Elle dispose dans cette entreprise d’un avantage comparatif important : elle ne facture aucune commission aux commerçants, contrairement aux opérateurs privés.

Source : Frédéric Lemaître «En Chine, les premiers pas du yuan digital », Le Monde 15/01/2021

Les perspectives de 2021

On s’attend en 2021 à un rebond de l’économie française. Cependant, les inconnues, voire les risques, sont nombreux. Quatre incertitudes sont considérées comme majeures par les économistes.

1. L’accélération des défaillances d’entreprises : Les filets de sécurité (prêts garantis par l’Etat et chômage partiel) ont fait chuter les défaillances d’entreprises en 2020 de 40%. Mais les prévisions sont qu’en 2021, lorsque les prêts devront être remboursés et que le aides au chômage cesseront, elles remonteront à leur niveau de 2019, puis le dépasseront d’au moins 20% en 2022. Certains sont encore plus pessimistes et voient un véritable « mur » des faillites, qui pourrait entrainer les créanciers (banques, fournisseurs, bailleurs, …) dans une spirale de faillites.

2. L’évolution du marché du travail : les faillites en hausse devraient détruire 180.000 emplois. On s’attend au total à une remontée du taux du chômage à 11% au 1er semestre 2021.

3. Le niveau de la consommation et de l’épargne : Cette incertitude est particulièrement difficile à lever. Ce qui est certain, c’est que tant qu’il sera difficile de sortir ou de voyager les dépenses ne pourront se développer vraiment.

4. L’accroissement des inégalités : Malgré les aides massives aux ménages, de nombreuses catégories de travailleurs précaires (par exemple les travailleurs indépendants) ont vu leurs emplois disparaitre et leur situation se dégrader durablement.

Beaucoup de ces sombres prévisions sont émises par les professionnels pour inciter le gouvernement à prolonger ses aides. Il n’empêche que les incertitudes ainsi mises en relief sont réelles.

Source : B. Madeline « La France de 2021 face à 4 inconnues », Le Monde 24/12/2020

Boris Johnson deviendrait-il keynésien ?

On pensait que le gouvernement Johnson adopterait, notamment dans ses négociations sur le Brexit, une ligne plutôt libérale. Certains avaient même parlé de l’objectif de transformer la Grande-Bretagne en « Singapour sur Tamise », commerçant avec le monde entier, et pratiquant dumping social et environnemental aux portes de l’Europe.

Les événements ont changé la donne. D’abord, la pandémie a entraîné une inflation des dépenses. Un système de chômage partiel sur le modèle européen a été créé. La pays de Margaret Thatcher est même allé beaucoup plus loin que bien des pays européen, en nationalisant l’ensemble du réseau ferroviaire, et en aidant 1,3 millions de PME par 45 milliards de prêts intégralement garantis par l’Etat. Bref, les tabous économiques sautent les uns après les autres. Pour la seule année 2020 la facture s’élèverait à 200 milliards de livres. Si on y ajoute l’effet du ralentissement économique, le déficit budgétaire devrait atteindre 17% du PIB, un record.

Ensuite, M. Johnson s’est hissé au pouvoir en faisant tomber des bastions travaillistes au Nord de l’Angleterre, et il a promis de rééquilibrer le pays en investissant dans de grands travaux dans cette région (trains, routes, fibre optique).

Et enfin les déconvenues se sont accumulées du côté du commerce mondial. Notamment, les rêves de « marché commun » avec les USA se heurte à la volonté américaine d’inonder le marché britannique de poulets au chlore et de bœuf aux hormones, et de libéralisation du marché pharmaceutique. Tous ces points sont incompatible avec la volonté politique de contrôle des frontières et notamment des normes sanitaires.

Le tournant n’est pas encore tout a fait certain, parce qu’une large partie des ministres actuels ont appliqué l’austérité entre 2010 et 2017, et continuent de parfois renâcler devant l’ampleur des dépenses. Mais Boris Johnson a une large majorité, et s’il persiste à vouloir imposer ce changement profond, il en a les moyens.

Source : Eric Albert « Comment Boris Johnson enterre le Thatchérisme », Le Monde 25/26 Octobre.

Explosion de la pauvreté

Les indicateurs sociaux virent au rouge. Le gouvernement estimait le 8 Septembre que 8 millions de personnes ont besoin de l’aide alimentaire contre 5,5 millions en 2019. Les demandes de RSA (Revenu de Solidarité Active) ont augmenté d’environ 10% par rapport à la même période en 2019. Ceci se constate partout en France, et les départements sont inquiets car ils doivent prélever ces dépenses nouvelles sur d’autres budgets.

Le chômage est reparti à la hausse. La Banque de France prévoit que le chômage ordinaire (catégorie A) va dépasser 10% en 2020 et 11% en 2021.

De nombreux emplois ont disparu dans la crise sanitaire. La Dares a dénombré 65.000 ruptures de contrat de Mars à Septembre 2020 contre 19.000 durant la même période de 2019. S’y ajoutent 151.000 emplois détruits dans l’intérim en 1 an. Nombre de CDD ne sont pas renouvelés, et des embauches sont reportées. Et ce que ne détecte aucun indicateur officiel ce sont tous les petits boulots et l’économie informelle qui se sont écroulés. Il y a des étudiants qui n’ont plus de « petits boulots », des travailleurs précaires devenus sans emploi, des autoentrepreneurs et des artisans dont l’activité à sombré, des apprentis qui n’ont plus de stages. Un exemple à Lille, de jeunes mères africaines avaient trouvé en banlieue parisienne un emploi dans un atelier de confection de fleurs artificielles pendant que d’autres femmes gardaient leurs enfants. L’atelier a fermé. Celles-là ne vont pas pointer au chômage, mais elles seront de nouvelles clientes du Secours Populaire.

Globalement les statisticiens estiment qu’un million de français sont passé sous le seuil de pauvreté monétaire (1063 euros par mois et par unité de consommation) et s’ajoutent aux 9,8 millions existants, 14,8% des ménages (chiffres de 2018).

Source : I. Rey-Lefebvre « Un million de nouveaux pauvres d’ici à fin 2020 », A. Leclerc « Indépendants, retraités, jeunes … la crise déstabilise des publics jusqu’ici préservés » Le Monde 7/10/2020

La peur de la spirale japonaise

Des signes de déflation sont apparues en Europe depuis le début de la crise sanitaire. En Août, l’indice des prix en Zone euro a été négatif, la croissance depuis 10 ans est anémique, et les taux d’intérêt restent proche de zéro et sont même négatifs.

Il n’en faut pas plus pour craindre une spirale déflationniste comme en a connu le Japon après 1990, et dont il est à peine sorti aujourd’hui.

Certains paramètres cependant incitent à ne pas être trop pessimistes.

D’une part les prix se sont aventurés en territoire négatif en 2009, 2014, 2016 et 2020. Mais ceci n’est pas arrivé dans les 19 pays en même temps, et l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) est toujours restée positive.

D’autre part l’Europe n’a pas une population aussi vieillissante que celle du Japon (20% a plus de 65 ans en Europe, contre 28% au Japon). Une population plus vieillissante réduit la population active et donc la croissance potentielle.

Et surtout le Japon a été très longtemps attentiste. Pour l’instant, la BCE agit vigoureusement contre ce risque. Espérons qu’elle restera sur cette ligne, et que les dirigeants européens resteront aussi volontariste que pour décider du plan « de 750 milliards » ou du plan de relance français.

Source : E. Albert : « En zone Euro, le spectre d’une « japonisation », Le Monde 13-14 Septembre.

L’Allemagne keynésienne

Tout le monde a été surpris de la rapidité et de l’ampleur de la réaction allemande dans la crise du Covid-19. Dès la fin Mars un emprunt de 156 milliards d’euros a été lancé, ignorant ainsi la limitation constitutionnelle à 0,35% du PIB du déficit budgétaire. Ensuite, l’Allemagne s’est fortement engagée avec la France pour un plan de relance européen qui a abouti fin Juillet et se monte à 750 milliards d’euros. Ce volontarisme européen est contraire au discours rigoriste et moralisateur que l’Allemagne adressait volontiers aux autres pays européens « dépensiers ». depuis de nombreuses années.

Enfin, le 3 Juin, l’Allemagne lançait son plan de relance domestique de 130 milliards d’euros. Les investissements publics y sont en bonne place, alors qu’ils étaient très négligés depuis longtemps.

Et tout ceci a pu se faire sans qu’on entende les habituelles polémiques sur le danger du retour à l’inflation généralisée.

Au-delà du « coup » politique, procédé qu’Angela Merkel affectionne parfois pour relancer sa popularité, on note en Allemagne une évolution des milieux économiques influents. Depuis plusieurs années, la critique du « zéro noir » (schwarze Null), nom donné à l’obligation de l’équilibre budgétaire, n’est plus cantonnée aux milieux de gauche. Elle a gagné le ministère des finances et l’Institut Economique (IW) proche du patronat. Plusieurs débats ont eu lieu sur l’absurdité de conserver une doctrine d’excédents alors que l’endettement est bon marché et que c’est le moment d’investir à bon compte. Egalement, l’idée d’une politique budgétaire commune en Europe a progressé.

Il y aura encore des résistances, le « frein à la dette » ne sera pas abandonné de sitôt. Mais il sera sans doute largement modernisé.

Source : Cécile Boutelet « Comment l’Allemagne est devenue keynésienne » Le Monde 08/09/2020

N.D.L.R. : Si le verrou rigoriste allemand saute, beaucoup d’évolutions seront possibles en Europe, que nous pensions inenvisageables.