Boris Johnson deviendrait-il keynésien ?

On pensait que le gouvernement Johnson adopterait, notamment dans ses négociations sur le Brexit, une ligne plutôt libérale. Certains avaient même parlé de l’objectif de transformer la Grande-Bretagne en « Singapour sur Tamise », commerçant avec le monde entier, et pratiquant dumping social et environnemental aux portes de l’Europe.

Les événements ont changé la donne. D’abord, la pandémie a entraîné une inflation des dépenses. Un système de chômage partiel sur le modèle européen a été créé. La pays de Margaret Thatcher est même allé beaucoup plus loin que bien des pays européen, en nationalisant l’ensemble du réseau ferroviaire, et en aidant 1,3 millions de PME par 45 milliards de prêts intégralement garantis par l’Etat. Bref, les tabous économiques sautent les uns après les autres. Pour la seule année 2020 la facture s’élèverait à 200 milliards de livres. Si on y ajoute l’effet du ralentissement économique, le déficit budgétaire devrait atteindre 17% du PIB, un record.

Ensuite, M. Johnson s’est hissé au pouvoir en faisant tomber des bastions travaillistes au Nord de l’Angleterre, et il a promis de rééquilibrer le pays en investissant dans de grands travaux dans cette région (trains, routes, fibre optique).

Et enfin les déconvenues se sont accumulées du côté du commerce mondial. Notamment, les rêves de « marché commun » avec les USA se heurte à la volonté américaine d’inonder le marché britannique de poulets au chlore et de bœuf aux hormones, et de libéralisation du marché pharmaceutique. Tous ces points sont incompatible avec la volonté politique de contrôle des frontières et notamment des normes sanitaires.

Le tournant n’est pas encore tout a fait certain, parce qu’une large partie des ministres actuels ont appliqué l’austérité entre 2010 et 2017, et continuent de parfois renâcler devant l’ampleur des dépenses. Mais Boris Johnson a une large majorité, et s’il persiste à vouloir imposer ce changement profond, il en a les moyens.

Source : Eric Albert « Comment Boris Johnson enterre le Thatchérisme », Le Monde 25/26 Octobre.