Les partisans du plan d’économie, annoncé par M. Valls sous l’impulsion de F. Hollande, prennent comme acquis qu’un tel plan est absolument nécessaire, et le justifient par des  » évidences  » qui sont pour la plupart des comparaisons avec la comptabilité des ménages et des entreprises ou une complainte pour les générations futures. Un bon échantillon des arguments avancés est donné dans le journal Le Monde du 18 Avril. Nathalie Nougayrède, directrice du journal, se fend d’un éditorial au vitriol :  » Halte aux jeux de rôle débilitants  » qui présente donc les opposants comme des débiles mentaux. Quels sont donc ces arguments irréfutables ? Extrait :  » Tout le monde sait que la France vit au-dessus de ses moyens depuis quarante ans: depuis 1974, aucun budget n’a été voté ne serait-ce qu’à l’équilibre. Tout le monde sait que ces déficits annuels ont fini par accumuler une dette publique qui approche désormais les 2000 milliards d’euros, et que les intérêts de cette dette nous coutent, chaque année, quelque 45 milliards d’euros. Personne n’ignore que, dans une situation comparable, n’importe quel ménage ou entreprise aurait, depuis longtemps, mis la clef sous la porte. «Â
Les économistes ne sont pas tous  » débiles « , et la plupart savent qu’il s’agit là d’ "Economie de la Ménagère", ainsi nommée par dérision parce ces théories ignorent qu’un Etat ne peut tout simplement pas être comparé à un ménage ni même à une entreprise. Le débat est un peu compliqué par l’existence de l’euro, mais si pour commencer nous considérons un état souverain, qui émet sa propre monnaie (par exemple les Etats-Unis), il ne peut jamais faire faillite, car il ne peut par définition manquer de sa propre monnaie. Certes son économie doit être suffisamment forte pour que le pays ne soit pas surclassé, et peut-être un jour dominé par d’autres pays, mais en tout cas il n’est nul besoin qu’un tel pays recherche l’équilibre de ses comptes publics. Qui plus est un tel équilibre est le plus souvent nuisible, car pour générer les nouveaux moyens de paiement nécessaires à la croissance des volumes et des prix, il faut que les groupes sociaux dans leur ensemble génèrent ces moyens de paiement par leur endettement, ou que le commerce extérieur excédentaire y pourvoie en finançant l’économie par des devises étrangères. Les ménages, sauf s’ils s’endettent exagérément, ce qui est à éviter comme nous l’avons constaté lors de la crise dite  » des subprimes « , sont plutôt épargnants. Dans un pays qui aurait un commerce extérieur à l’équilibre ou en déficit, l’Etat ou les entreprises ou les deux doivent donc s’endetter suffisamment pour impulser une croissance non nulle. Et de fait les Etats-Unis ont depuis la dernière guerre mondiale été toujours en déficit sauf pour de brèves périodes. Il en est de même pour d’autres grands pays (Japon, Grande-Bretagne, …). Le Japon et les USA ont ainsi accumulé des endettements plus élevés que les nôtres sans graves inconvénients pour eux.
Bref, un Etat a une fonction passive ou active de régulation de l’économie du pays, fonction que n’a évidemment pas un ménage, et, à cause de cette fonction, il dispose de moyens (impôts, emprunts, banque centrale) dont ne dispose pas le ménage ou l’entreprise. Par conséquent un discours tel que celui de Nathalie Nougayrède non seulement n’énonce pas d’évidences comme elle voudrait le faire croire, mais est fondamentalement erroné.
Le mythe du fardeau des générations futures est de même nature. Nos enfants ne rembourseront pas la dette publique plus que nous ne la remboursons, car cette dette augmente sans cesse comme le reste de l’économie, en fait elle n’est jamais remboursée. On pourrait aussi argumenter que nous transmettons sans doute un passif, mais aussi un actif, dans lequel il faudrait inclure non seulement les actifs matériels mais aussi immatériels (connaissances, éducation). Bref ici aussi le raisonnement est douteux.
Pourquoi l’analogie entre les gouvernements et les ménages a-t-elle la peau aussi dure ? Il peut y avoir 3 raisons, comme le rappelle R.Wright lors d’un interview .
– certains économistes de la vieille école ont été formés avec le système de l’étalon or ou du  » gold exchange standard « . Dans ce système, on peut admettre qu’il y a une contrainte financière et qu’un gouvernement pouvait manquer d’or ou de dollars. Mais depuis 1971 il n’y a plus de tel système.
– les gens qui n’ont pas de formation économique sont tout simplement trompés parce qu’ils ne voient pas la différence entre un gouvernement et un ménage. Les politiques utilisent cette analogie parce qu’elle marche, les gens la comprennent intuitivement très facilement bien qu’elle soit complètement fausse.
– il y a aussi des gens qui utilisent l’analogie tout en sachant qu’elle est fausse, mais pour pousser le peuple à faire ce qu’il ne voudrait pas faire autrement, par exemple faire des coupes dans les dépenses sociales. Cette raison a pris de l’importance dans les dernières années à cause de la volonté politique de réduction des déficits.
Ayant ainsi fait justice de ces tromperies dans un pays monétairement souverain, parlons maintenant des pays de la zone Euro. A juste titre on peut objecter qu’un tel pays n’est pas monétairement souverain, puisqu’il a délégué sa fonction d’émission monétaire à la BCE. Ceci dit, les emprunts au marché restent nationaux et donc techniquement un gouvernement national peut s’endetter sans limite, en estimant ainsi remplir sa fonction de régulation de l’économie.
C’est là qu’interviennent les marchés financiers, les investisseurs et spéculateurs, les agences de notation, etc. Ce système financier contraint les gouvernements à conserver une gestion  » présentable « , sous peine de ne plus pouvoir emprunter, et cette fois-ci faire faillite car ils ne peuvent plus faire appel à leur banque centrale, sauf si les partenaires de la zone décident de renflouer tout pays en difficulté. C’est ce qui s’est passé pour les pays du sud (Grèce, etc.). La contrainte des marchés est renforcée par des règlements communautaires qui visent à éviter de se trouver devoir renflouer un pays voisin.
Tout cet échafaudage de contraintes existe, on ne peut le nier, mais il ne faut pas se tromper de raisonnement. Ce n’est pas pour une saine gestion  » ménagère « , ni pour les générations futures, qu’il faut se serrer la ceinture. C’est parce que nous avons accepté la contrainte des marchés et celle de l’euro.
Tournons-nous maintenant vers l’économie pour savoir si malgré tout ce plan d’économie a un sens. Car la dette a un coût. Peut-être serait-il rentable de se restreindre pour diminuer le coût de cette dette à l’avenir ? De ce côté la théorie économique semblerait plutôt indiquer que non. Les expériences passées de récession et de déficits publics semblent plutôt indiquer qu’il ne faut pas diminuer le déficit public en phase de récession ou de stagnation. En effet, la résorption du déficit ne peut en dernier ressort venir que du redécollage de l’économie. A vouloir le résorber trop tôt non seulement on empêche l’économie de repartir, mais on ne réduit jamais le déficit autant qu’on l’aurait cru au départ, car la récession ou la stagnation réduisent les rentrées fiscales. Il faut donc accepter d’augmenter le déficit jusqu’à ce que l’économie soit vraiment ressortie de la récession.
Les Etats-Unis ont maintenu leurs déficits plus longtemps que les pays de la zone euro et sont donc sortis de récession plus tôt. Certes ce n’est pas le seul facteur qui a joué mais il a certainement joué.
Un autre argument du gouvernement est que ce plan d’économies va financer des baisses de charges pour les entreprises, par conséquent celles-ci pourront créer des emplois. Mais là où le bât blesse, c’est que si ce choc  » d’offre  » est annulé par un choc symétrique de demande (baisse des revenus), les entreprises n’auront pas les débouchés supplémentaires pour justifier les embauches espérées. Il y a fort à parier que les marges dégagées par les baisses de charges iront en priorité aux actionnaires ou à des investissements dans d’autres pays.
En conclusion ce plan d’économies a tout pour déplaire. Que faudrait-il faire ? Malheureusement rien ne peut se faire de sérieux en France dans les contraintes des traités européens et le corset des marchés mondialisés. F. Hollande a accepté les contraintes sans obtenir de contreparties sérieuses. L’urgence impose de passer à une autre vitesse et de reconquérir rapidement des marges de manÅ“uvre.
Des marges de manÅ“uvre financières : la gradation, c’est
– l’agence de financement publique, du style de la BPI (Banque Publique d’Investissement) mais avec statut bancaire et refinancement par la banque centrale. Cette action a été préconisée dans un
plan de relance par la FNH (Fondation Nicolas Hulot).
– réquisition de la banque centrale (voir notre éditorial "Etat d’urgence ").
– sortie de l’euro.
Des marges de manœuvre commerciales : rétablir en droit nos barrières douanières et engager des négociations tous azimuts pour équilibrer nos échanges.
Des marges de manÅ“uvre politiques : chercher des alliés dans les pays européens pour une autre organisation de l’euro et de l’Europe, par exemple la mise en place d’une monnaie commune (voir notre Fiche sur le sujet ).
Dans ces propositions on voit combien on est loin du braquet actuel du gouvernement, qui semble pédaler dans le vide. Pas étonnant que les français votent de moins en moins.
Encore une fois un excellent éditorial hors classe.Cependant je m’abstiendrais de prendre les E.U. en exemple car ils bénéficient du dollar comme monnaie mondiale d’échange et de réserve.D’autre part je serais plus prudent sur l’endettement, y compris pour les générations futures, car les intérêts représentent une lourde charge au détriment de l’économie réelle. Ils sont aussi un transfert d’argent au bénéfices des financiers qui ne l’utilisent pas forcément (!) au profit de l’économie. Par contre l’article souligne que la baisse de l’endettement ne peut venir qu’en période faste, ce qui est tout-à -fait exact.
@guguenheim,
Merci.
Bonnes remarques. Notamment je suis d’accord sur la charge de la dette, bien que je ne l’ai indiqué qu’implicitement.
Puisque les budgets primaires sont déjà en déficit, les Administrations ne peuvent payer les intérêts que par recours à l’emprunt; c’est donc les prêteurs « nouveaux » qui vont payer les intérêts aux prêteurs « anciens » (en plus du déficit primaire). Il n’est donc pas tout à fait exact de mon point de vue de dire « les intérêts représentent une lourde charge au détriment de l’économie réelle  »
Par contre il est vrai que cette « manipulation » augmente la dette et permet ainsi de justifier ce que Gabriel dénonce si bien.