Fiche N°12 : La monétisation des créances

Nous avons vu dans les fiches N°2, 3 et 4 comment les banques secondaires créaient de la monnaie et comment la Banque Centrale régulait l’ensemble du système. Nous avons vu en particulier que les banques secondaires avaient le pouvoir de  » monétiser  » des actifs, et notamment leurs propres créances.

La Banque Centrale le peut aussi. Elle peut être amenée à acquérir des actifs dans plusieurs circonstances.

a) Dans le cadre du refinancement des banques secondaires, elle reçoit de leur part des titres qu’elle achète ou qu’elle prend en pension (achat temporaire avec paiement d’un intérêt par la banque secondaire). En échange, elle crédite leur compte en monnaie centrale.

b) Elle peut directement acheter des titres d’Etat sur ce qu’on appelle l’  » Open Market « , en fait le marché interbancaire. Elle le fait toujours auprès d’un intermédiaire qui a un compte chez elle, de sorte que là encore elle paie en créditant le compte de cet intermédiaire en monnaie centrale.

c) Elle peut aussi acheter des titres de dette privés, bien qu’elle le fasse très rarement en dehors du refinancement des banques. Toutefois, elle peut être amenée à le faire dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’elle juge que le circuit habituel ne développe pas assez le crédit. On appelle alors ces opérations des  » opérations non conventionnelles « .

Nous allons donc examiner les conséquences de l’achat d’un titre d’emprunt (obligation de l’Etat ou d’une entreprise) par un agent économique, que ce soit un agent non financier (ménage ou entreprise), un agent financier bancaire, ou la Banque Centrale.

 

A) Un agent non financier achète un titre d’emprunt :

Dans ce cas particulièrement simple, l’agent acheteur transfère le montant de l’achat de son compte bancaire vers celui de l’entreprise qui émet le titre, ou vers celui du Trésor Public s’il s’agit d’un emprunt d’Etat. Dans le premier cas la monnaie a simplement changé de compte à vue et la masse monétaire est inchangée. Dans le cas de l’Etat, c’est un peu moins évident car le compte du Trésor est à la Banque Centrale, mais si on considère que l’Etat va dépenser l’argent emprunté auprès d’autres agents non financiers, ici aussi l’argent se retrouve finalement sur le compte d’un tel agent non financier et la masse monétaire n’a pas changé non plus.

 

B) Une banque achète un titre d’emprunt :

Nous avons vu dans la Fiche N°2 que la banque a le pouvoir de monétiser des actifs. Lorsqu’elle acquiert un titre d’emprunt, soit directement auprès de l’emprunteur, soit auprès d’un acquéreur antérieur, elle crédite le compte de cet acquéreur et inscrit le titre de créance à son actif. Comme précédemment, si le vendeur est une entreprise, elle crédite le compte directement s’il est chez elle, sinon elle lui fait un virement ou un chèque de banque et elle inscrit une dette envers la banque du vendeur. C’est alors celle-ci qui va créditer le compte du vendeur.

Si le vendeur est l’Etat, comme précédemment, il vaut mieux attendre que l’Etat dépense cet argent et constater qu’ici aussi un compte d’agent non financier est finalement crédité.

Cette monnaie a été créée par la banque ex-nihilo. C’est de la monnaie scripturale ordinaire, celle qui circule de compte bancaire en compte bancaire.

Par contre il n’y a pas création de monnaie centrale car la Banque Centrale n’est pas partie prenante. Simplement de la monnaie centrale a circulé de compte en compte en fonction des dettes et créances entre banques et entre banques et Trésor Public.

 

C) La banque centrale achète un titre d’emprunt

Que ce titre soit un titre d’emprunt d’entreprise (nous avons vu que cette situation est exceptionnelle) ou de l’Etat, la Banque Centrale passe toujours par un organisme bancaire pour faire ses achats (en principe le Trésor Public ne peut pas vendre directement ses titres à la Banque Centrale).

Par conséquent, comme le titre commence toujours par être acquis par une banque ou équivalent, on a les mêmes effets que dans le paragraphe précédent. Il y a création de monnaie bancaire pour le montant de l’emprunt.

Mais ensuite la Banque Centrale met ce titre à son actif, et crédite la banque intermédiaire sur son compte en monnaie centrale, pour le montant de l’emprunt.

Il y a donc, en plus de la création de monnaie ordinaire, création de monnaie centrale, ce qui augmente la liquidité des banques et leur permet de prêter cet argent avec multiplication.

 

Conclusion

Nous pouvons maintenant résumer. Le placement de titres de dette, publique ou non, se traduit, suivant l’acheteur, par

РBanque Centrale : Cr̩ation de monnaie ordinaire et de monnaie centrale

РBanque secondaire : Cr̩ation de monnaie ordinaire

РOrganisme financier non bancaire ou agent non financier : aucune cr̩ation.



16 commentaires pour “Fiche N°12 : La monétisation des créances”

  1. En ce qui concerne l’opération B), il me semblerait nécessaire de signaler l’opération inverse. Les banques achètent des titres de dette, mais les revendent également. Cette dernière opération absorbe de la monnaie et il y a destruction de monnaie. Même chose à l’échéance d’un bon du Trésor. C’est le solde net des flux de monnaie dans les deux sens qui importe.

  2. Oui, c’est tout à fait exact. En fait toutes les opérations signalées dans cette fiche sont réversibles;
    Je modifierai la fiche en ce sens prochainement.

  3. Parmi tous les documents traitants de ce sujet dans un esprit de vulgarisation, cette fiche est de très loin la plus claire. Merci donc.
    Je me suis reporté à ce document car je m’interrogeais récemment sur le circuit monétaire mis en œuvre lorsqu’une banque achète une obligation de l’Etat. Elle crée pour cela de la monnaie « ordinaire » qui est créditée sur le compte du Trésor à la Banque Centrale. Cela signifie donc, si je comprends bien, que les 2 sortes de monnaies (centrale et ordinaire) sont présentes dans ce cas particulier ?
    Il est écrit dans la note « (…) il vaut mieux attendre que l’Etat dépense cet argent (…) ». Je comprends que cela permet de simplifier les explications mais que se passe-t-il dans la réalité, d’un point de vue pratique ? Comment les écritures sont-elles gérées ?

  4. @ RST
    Pour acheter le titre, la banque vire le montant nécessaire,à partir de son compte en B.C. vers le compte du Trésor également en B.C. Elle gagne donc un actif (le titre) et perd le même montant en actif de monnaie centrale. Il n’y a pas de création de monnaie ordinaire à ce stade (ni de monnaie centrale).
    C’est le Trésor Public qui, en faisant un chèque à un agent économique, déclenche la création de monnaie ordinaire lorsque l’agent remet ce chèque à sa banque et que celle-ci le crédite du montant du chèque sur son compte bancaire.
    La banque de l’agent devient créditrice du Trésor et se fait virer le montant en monnaie centrale.
    Au total, la monnaie centrale a circulé mais son montant n’a pas varié, tandis que la monnaie ordinaire s’est accrue du montant du titre.

  5. Bonjour à toutes et à tous,
    Je souhaite vous poser une question, si vous me le permettez : si on admet la possibilité d’une monétisation des créances publiques, comment procède-t-on au calcul des besoins de l’économie pour une période P ? et comment parvient-on à définir le montant maximum au-delà duquel l’émission serait considérée comme « excessive » ?
    Je vous remercie.
    Yam.

  6. @Yam,
    Pour les besoins de la période à venir, on peut par exemple additionner la croissance prévue en volume et l’inflation, en supposant constante la vitesse de circulation.
    A posteriori, les autorités monétaires ont une batterie d’indicateurs (agrégats monétaires, salaires, prix de gros et de détail, etc…) qui leur permettent de détecter une surchauffe et de restreindre éventuellement la création monétaire, et même de retirer des liquidités.
    C’est du pilotage à vue, mais ce n’est pas plus difficile qu’actuellement, où les banques créent la monnaie et la Banque Centrale suit tous ces indicateurs pour augmenter ou baisser les taux d’intérêt, ce qui est un instrument de pilotage beaucoup moins efficace que la monétisation directe.

  7. En quoi une politique d’assouplissement quantitatif se différencie-t-elle de ce que l’on appelle communément le fonctionnement de « la planche à billet ». Quelles seraient les conséquences et les modalités d’application d’un financement direct des états de l’UE auprès de la BCE?

  8. @ L’étudiant
    C’est une image. L’assouplissement quantitatif n’imprime pas vraiment des billets en papiers, donc ce n’est pas une vraie plaanche à billets. Par contre, si on entend par là, de manière imagée, que de la monnaie scripturale est générée, alors oui c’est exact.
    Un financement direct des etats ne peut être institué sans garde-fous, ni être complètement à l’initiative des etats, sinon il n’y a plus de limites aux dépenses publiques. D’ailleurs le plus souvent le financement est indirect. Les Etats s’endettent selon les règles classiques et la Banque Centrale achète des titres sur le marché secondaire pour empêcher la spéculation sur ces titres et pour générer la quantité de monnaie qu’elle souhaite en fonction de la conjoncture.

  9. Pour moi la différence est que dans l’assouplissement quantitatif, la banque centrale rachète la dette des états sur le marché secondaire au lieu de leur prêter directement. En conséquence, les états empruntent plus cher en finançant les marges des banques commerciales. Est-cela?
    L’inflation est-elle si mauvaise tant qu’elle ne bascule pas vers de l’hyper-inflation?
    Est-il préférable pour un pays d’avoir 8% de croissance et 15% d’inflation ou 2% de croissance et 1,5% d’inflation?

  10. Bonsoir,
    Que peut-on répondre aux tenants de la thèse selon laquelle :
    « la création monétaire par les banques centrales est bien plus inflationniste que l’emprunt. Pourquoi ? Parce que lorsque l’Etat emprunte, la ponction sur le marché des capitaux a lieu au détriment d’autres financements : les obligations d’Etat « évincent » le secteur privé, qui aurait lui aussi besoin de cet argent (« effet d’éviction » : lorsque l’Etat emprunte, il fait grimper le taux d’intérêt, ce qui pousse des entreprises à renoncer à leurs projets d’emprunts). » ?
    Je vous remercie.
    Yam.

  11. @Yam
    Cette thèse est celle du marché des « fonds prêtables ». Il y aurait à un moment donné un volume de fonds prêtables (l’offre) et le prix (le taux d’intérêt) serait fixé par la demande.
    Ce « marché » n’existe pas. Le volume des fonds prêtables est infiniment élastique, car leur production ne coûte rien. C’est plutôt la demande qui est déterminée par le coût (taux d’intérêt déterminé par la banque centrale et les anticipations des agents) et l’offre se conforme à la demande, les banques créant sans limitation les fonds nécessaires, en se refinançant si nécessaire à la banque centrale.
    Il ne peut donc y avoir aucun « effet d’éviction ».

  12. Cette fiche est très claire mais j’ai deux questions qui, malgré relecture, persistent dans mon esprit concernant le mécanisme B :

    – Si une banque peut acheter des actifs d’entreprises (par exemple actions) en créant de la monnaie, pourquoi ne rachète t’elle pas toutes les obligations en circulation dans le monde (je force à dessein le trait) ?? En effet, cela lui rapporte des actifs qu’elle peut ensuite échanger contre de la monnaie banque centrale. Pourquoi s’en priver ?

    – Quel est l’intérêt d’une banque à continuer de prêter aux Etats à taux négatifs si elle paie en monnaie centrale (si elle payait en monnaie-crédit, cela pourrait se comprendre car elle rééchangerait ses titres auprès de la BC contre de la monnaie centrale, ce qui lui permettrait de prêter ensuite davantage) ? Et en période d’intérêts positifs, le seul intérêt de l’opération est il donc de percevoir des intérêts ?

    Merci de votre réponse.

  13. @Nicolas
    L’achat d’actifs est limité par le fait que la banque doit tout de même créditer le vendeur. Statistiquement, une grande partie des vendeurs sont dans d’autres banques, donc la banque acheteuse doit dépenser de la monnaie centrale. Si elle achète beaucoup plus que ses concurrentes, elle devient « illiquide » (voir Fiche N°7).
    Il s’agit donc d’une autolimitation par la profession entière, à l’échelle d’un pays, ou du monde entier en marché mondial dérégulé.

  14. Bonjour,

    Merci de cette réponse, je comprends en effet que le système s’autolimite.

    Toutefois, si je vous comprends bien, cela ne repose que sur le fait que, la plupart du temps, la banque doit dépenser de la monnaie centrale pour obtenir ces titres. Or, si la banque peut revendre sans limite ces mêmes titres auprès de la banque centrale en échange de la même quantité de monnaie centrale, où se trouve la limite en question (bien entendu, seulement si le taux directeur est à zéro car sinon je comprends que cela leur coûte plus d’argent) ?

    Par ailleurs, peut-on dire que les intérêts obtenus par les banques et qui constituent leurs bénéfices sont transformées en monnaie centrale (en réserves) en se retrouvant sur le compte de la banque à la BC ? Est-ce pour cette raison que les banques commerciales recourent plus volontiers à la cession temporaire de titres qu’à la cession ferme lors du refinancement ?

    Enfin, sur l’intérêt des banques à acheter des titres d’Etat à taux négatif, avez-vous également une explication liée aux mécanismes bancaires ?

    Merci beaucoup de votre réponse !

  15. @Nicolas
    La BCE n’achète pas de titres dans les opérations ordinaires (c’est-à-dire hors QE) elle les prend en pension (cession temporaire avec paiement d’un intérêt).
    L’intérêt pour la banque d’acheter un titre et de le mettre en pension est justement d’obtenir de la monnaie centrale, mais cela a un coût. Elle ne souhaitera donc pas multiplier cette démarche au-delà de ses besoins de liquidité immédiats.
    Non, les banque ne choisissent pas la cession temporaire, c’est la Banque Centrale qui l’impose.
    Les taux négatifs ne sont pas explicables par des mécanismes bancaires. Les banques acceptent de payer ces titres cher parce qu’elles les veulent à tout prix dans une optique à moyen ou long terme.

  16. D’accord merci, je comprends, mais dans le cadre du QE, cela reste un privilège considérable pour les banques car, à ce moment-là, elles peuvent revendre les titres à la BC en pension ferme (avec les intérêts compris je suppose). Dans cette limite-là, elles n’ont pas de raison de s’en priver…sauf dans le cas de taux d’intérêt négatifs qui demeure difficile à comprendre : certes avec Bâle 3, elles ont des obligations de détention de titres publics, certes la facilité de dépôt est négative, mais souvent les TI sont encore plus bas sur les emprunts d’Etat. Elles doivent avoir une série de raisons.

    Merci encore de votre réponse.

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