Editorial: La crise, et maintenant?

Bien que la crise financière n’ai pas encore déroulé tous ses effets, nous assistons aujourd’hui à une floraison de propositions de tous bords pour éviter qu’elle ne se reproduise. 

Du côté des minimalistes, qui se recrutent principalement du côté de l’orthodoxie anglo-saxonne, on ne renonce pas à la sacro-sainte liberté d’entreprendre et de commercer, et on semble penser qu’un renforcement des garde-fous permettra de faire repartir le système comme il fonctionnait auparavant. Il suffisait pour s’en convaincre d’écouter entre les lignes le discours de G.W. Bush lorsqu’il a répondu à N. Sarkozy pour accepter le sommet de Novembre.

Du côté des maximalistes, on veut réduire à merci le système financier mondial. Cette position se retrouve aussi bien chez les mouvements alter mondialistes ou d’extrême gauche (Parti Communiste, Nouveau Parti Anticapitaliste), que dans la blogosphère. Internet déborde de multiples propositions, dont certaines radicales. Deux exemples : une vidéo de 52 minutes venant du Canada(2), et qui a beaucoup de succès actuellement, explique que le système monétaire actuel mène automatiquement à la catastrophe par endettement exponentiel automatique, et qu’il faut en sortir en redonnant aux gouvernements le pouvoir de création monétaire. Cette vidéo démontre de manière lumineuse que la monnaie est créée par les banques lorsqu’elles accordent un crédit. Mais il est dommage que plusieurs graves inexactitudes, ainsi que des allusions répétées aux complots des banquiers et autres  » gnomes « , nuisent gravement à la crédibilité de la démonstration.

Un autre exemple est celui de la pétition lancée par Ph. Derudder et A.J. Hollbecq(3), dont l’esprit est également d’affirmer que la  » nationalisation  » de la monnaie, en quelque sorte, réglera tout. En particulier les banques centrales doivent d’après eux être contraintes par les instances démocratiques à créer la monnaie nécessaire aux projets d’intérêt commun.

L’Union Européenne, par la voix de son président actuel et de la commission, souhaite se situer entre ces deux extrêmes, et parle de  » refonder le capitalisme « , mais n’est pas très précise sur ses propositions concrètes, au moins pour le moment. On entend parler de mesures techniques comme la réforme des normes comptables qui plombent les bilans et la limitation des traitements des PDG. Cela ne va pas très loin. On parle aussi de vraiment lever le secret bancaire des paradis fiscaux, mais pas de les interdire.

Que faut-il penser de tout ça ? Bien entendu, nous ne repoussons pas l’idée de la création monétaire par des autorités au service de la collectivité. Nous pensons effectivement que le système actuel de création monétaire par endettement est gravement pro cyclique et qu’il serait sans doute plus efficace de trouver un autre mode de régulation monétaire. Mais il nous parait clair que ceci ne suffirait nullement à résoudre les problèmes posés par la crise actuelle. Même si toute la monnaie circulante était créée par l’Etat, rien n’empêche des spéculateurs de créer en plus des instruments de toutes sortes et de trouver des contreparties chez d’autres spéculateurs, ni d’aller cacher leurs turpitudes dans un paradis fiscal. Cela n’empêchera pas non plus que des cours des monnaies aberrants puissent ruiner l’équilibre commercial du monde.

Par conséquent, il faut avant tout revenir à un encadrement plus strict du système financier. Et comme il faut que ses acteurs ne puissent pas y échapper en allant dans des pays où ces règles n’ont pas cours, il faut faire disparaître les paradis fiscaux. Nous avons déjà écrit ailleurs sur ce site qu’il n’y a rien de plus facile que de mettre au pas les paradis fiscaux si on en a la volonté politique. Il suffit de les menacer de couper leur accès aux systèmes informatisés de règlement des pays développés. Une telle coupure les met instantanément hors circuit.

Ensuite, concernant les instituts financiers, le minimum indispensable est de séparer de nouveau les activités des banques de dépôt et de crédit aux agents économiques d’une part, les banques d’affaires d’autre part. D’autres règles seront sans doute proposées allant plus ou moins loin contre la liberté du secteur financier. Leur but sera de limiter au maximum les aspects spéculatifs des transactions financières. Elles revêtent un caractère très technique et pour les gens intéressés F. Lordon en a présenté une très bonne mouture sur son blog, qui va très loin dans les ratios prudentiels et préconise d’isoler le marché financier européen si nécessaire. Nous ne pouvons qu’approuver une telle démarche. En résumé il faut réellement mettre la finance sous contrôle, au lieu que la finance gouverne le monde.

Mais ce n’est pas tout. Car, on s’en rend compte maintenant, il faut aussi s’occuper de l’économie réelle. Et pour ça il faut régler le problème des taux de change et des balances commerciales. Sur les taux de change, il faut affirmer sans tourner autour du pot que les cours des monnaies doivent refléter les coûts du travail, sinon c’est de la concurrence déloyale. A défaut des coûts du travail, on peut prendre les parités de pouvoir d’achat (des quantités de monnaie équivalentes au taux équitable peuvent acheter les mêmes quantités de biens). Une fois définis les objectifs de taux, des mécanismes peuvent être définis pour forcer les opérateurs à échanger à ces taux (voir notre proposition) sans coercition ni contrôles tatillons.

Il y a fort à parier que si les taux de change se normalisent, les balances commerciale se rééquilibreront en grande partie. Mais si ce n’est pas le cas, il doit être également clair qu’un pays a le droit de soutenir une industrie ou une activité qu’il juge indispensable à son équilibre social ou industriel par les moyens appropriés (subventions, quotas, droits de douanes) si les importations dans ce secteurs dépassent une fraction (par exemple le tiers) du marché intérieur. De cette manière on sauvegarde la concurrence sans ruiner une industrie.

Finalement, ayant créé l’environnement favorable à une expansion équilibrée des nations, il faut créer cette expansion par une action volontariste des Etats. En effet, il est peu probable que l’économie reparte seule. Ce qui a caractérisé l’économie mondialisée de la dernière période, c’est la présence d’un  » consommateur en dernier ressort « , les Etats-Unis, dont personne ne pouvait se passer. Or les Etats-Unis ne pouvaient assumer ce rôle qu’en s’endettant toujours plus. Dans une moindre mesure, il en était de même dans nombre de pays développés. Cette économie d’endettement est tombée en panne pour plusieurs années. Les crédits seront plus rares. Les entreprises et les institutions financières vont devoir se désendetter. Les ménages américains aussi. Cela s’applique aussi à des pays déficitaires qui ne peuvent plus financer leur déficit. Comment remplacer tous ces consommateurs qui vont manquer à l’appel ? Comme le dit Jean Pisani-Ferry(4)  » Keynes nous a appris qu’il revient à l’Etat de s’endetter quand plus personne, dans l’économie privée, ne veut le faire. « 

Il faut réhabiliter le déficit public. Pas n’importe quel déficit. Pas celui qui consiste à emprunter à des rentiers pour redistribuer l’argent à d’autres rentiers qui vont immédiatement l’épargner. Il faut un déficit qui permette la réalisation de projets d’intérêt commun, particulièrement ceux à long terme qui ne trouveront plus de financement, et qui se traduiront par une distribution de revenus à des agents qui le consommeront.

De nombreux besoins existent qui justifient des investissements publics. Sans être limitatifs, citons d’abord le logement, pour lequel on ne parvient pas à construire à la hauteur des besoins. Ensuite, comme nous l’avons indiqué dans l’éditorial sur l’inflation, les investissements dans le domaine de l’énergie sont essentiels pour à la fois diminuer la pression inflationniste du pétrole et répondre à l’objectif de réduction de la pollution (par exemple les investissements dans le domaine de la production et de l’économie d’énergie dans l’habitat et le transport). Encore une fois nous ne donnons que des exemples évidents, car il est clair que bien d’autres défis sont posés dans de nombreux domaines techniques et sociaux.

Qu’on ne nous réponde pas par le spectre de la dette. Encore une fois, cette fonction d’endettement et d’investissement de l’Etat est une fonction d’intérêt public. Le reste est un problème technique aisément soluble. Si par exemple la banque centrale rachète ces titres de dette (la banque fédérale américaine en rachète pour plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année), les intérêts seront versés par l’Etat à la banque centrale, c’est-à-dire à lui-même. Cette partie là de la dette n’a plus aucun inconvénient. Le débiteur étant son propre créancier il peut aussi bien annuler la créance sans léser personne.

D’ailleurs le gouvernement français est le moins bien placé pour invoquer cet argument. En effet, alors que Nicolas Sarkozy avait verrouillé les demandes de dépenses sociales en arguant que  » les caisses sont vides « , ne voilà-t-il pas qu’à la surprise générale il engage 40 milliards d’euros d’investissements dans le capital des banques (dont il semble qu’il ait dépensé 10 milliards à ce jour). Si on trouve de l’argent pour les banques on peut en trouver aussi pour d’autres secteurs.

Qu’on ne nous réponde pas non plus par le spectre de l’inflation. Si la contraction de la dette diminue la monnaie en circulation (et donc les revenus distribués) c’est la déflation qui nous guette.

Les prochains mois seront décisifs. S’il se trouve un groupe influent de dirigeants qui puisse infléchir les décisions dans le bon sens, nous pouvons sortir de l’ornière. Sinon, nous aurons plusieurs années au mieux de croissance molle, au pire de récession, et ensuite probablement une nouvelle phase d’expansion financière débridée.

Pour l’instant, si les mesures prises dans le monde entier pour renflouer les banques semblent à la hauteur, il n’en est pas de même pour la relance de l’économie réelle. Les mesures prises à ce jour sont tout à fait insuffisantes. Nous les commenterons au fur et à mesure de leur annonce dans notre rubrique  » Actualités « .

 

 


 

(1) Pour ceux qui voudraient un rappel sur les ressorts et le déroulement de la crise, lire notre document

(2) Pour les courageux, elle est visible au bout de ce lien (pérennité du lien non garantie)

(3) On trouvait le texte de la pétition sue le site www.public-debt.org/ il a disparu en Mai 2017

(4)  » Va-t-on réussir ?  » Jean-Pisanni-Ferri, Le Monde 22 Octobre 2008