Comment une crise naît et se développe : leçons à en tirer

La crise qui est partie des défauts de paiement sur les crédits  » subprimes Â Â» est globalement comprise maintenant. Il est possible d’en donner une description, afin d’en tirer des leçons pour l’avenir et de pouvoir proposer des mesures réduisant le risque qu’elle se reproduise.

Résumons les mécanismes de cette crise :

 

D’abord la situation de départ :

-des ménages aux revenus insuffisants sont poussés au crédit via des mécanismes de prêts garantis par des biens immobiliers

-ces revenus issus du crédit soutiennent l’activité économique

-le système fonctionne sur l’hypothèse que les biens immobiliers prennent une valeur croissante : si le ménage ne peut rembourser sa dette, son bien ayant pris de la valeur pourra être saisi et permettre le remboursement ou a minima de placer un nouveau prêt

-les banques soumises à des ratios qui les empêchent de faire ces prêts contournent ces ratios en  » titrisant Â Â» les prêts puis en cédant ces titres à des opérateurs financiers non soumis à ces ratios ; suite à la titrisation des opérations complexes de  » saucissonnage Â Â» sont réalisées pour permettre une amélioration (apparente) de la qualité du risque, validée par des agences de notation

-des  » hedge funds Â Â» montent des produits dérivés sur ces produits déjà complexes, en faisant jouer comme sur leurs autres activités des effets de levier très puissants.

En résumé des crédits risqués sont accordés à grande échelle et camouflés en titres échangés sur les marchés boursiers dans le monde entier.

 

Le déclenchement de la crise

Comme toujours dans une période de spéculation la crise se déclenche quand les  » anticipations Â Â» s’inversent ; alors que jusque là tout le monde pariait (explicitement ou sans le savoir) sur la continuation de la hausse des biens immobiliers et sur la capacité des emprunteurs à rembourser, ces anticipations deviennent moins crédibles lorsque la hausse du taux d’intérêt aux Etats-Unis, ainsi que la hausse du pétrole, érodent la solvabilité des emprunteurs. Lorsque le nombre d’impayés devient notable, les anticipations se renversent.

Les banques et les financiers détenant des crédits subprimes constatent alors que leurs actifs sont survalorisés. Les règles comptables les obligent à matérialiser ces pertes de valeur dans leur bilan. Elles constatent donc des pertes.

Les  » hedge funds Â Â» qui ont parié sur la hausse des marchés immobiliers et des produits dérivés perdent également de l’argent.

Progressivement il apparaît que les grandes banques sont toutes impliquées à des degrés divers dans des opérations proches de cette spéculation. Certaines font l’objet d’attaques (achat de titres à découvert pour faire baisser le cours) jusqu’au dépôt de bilan virtuel. Des bruits circulent, plus ou moins fondés, sur les difficultés de telle ou telle banque, entraînant des attaques boursières à la baisse. Les bourses de valeur commencent à avoir des faiblesses, dégradant les bilans des organismes financiers possédant des actions, aggravant ainsi les pertes comptables. A cause de ces pertes purement comptables certaines banques tombent en dessous des ratios prudentiels de fonds propres.

 

Le développement de la crise dans le secteur financier

Progressivement la confiance mutuelle entre les banques s’érode. Il faut rappeler que les banques se prêtent entre elles chaque jour beaucoup d’argent, c’est le marché interbancaire. Ce marché est fondé sur la certitude que l’emprunteur ne fera pas faillite d’ici le terme du prêt (qui est usuellement inférieur à quelques mois). Si le doute s’installe cette certitude disparaît, et les prêts interbancaires qui en temps normal permettent tous les jours d’ajuster les comptes croisés entre les banques ne se font plus. Les banques ont peur du dépôt de bilan des autres, ce qui peut effectivement se réaliser en une journée.

Les banques centrales sont conscientes que la faillite d’une banque doit être évitée si on veut empêcher un effet domino qui s’est produit en 1929 et que nous préciserons plus loin. Dès l’été 2007 elles prennent des mesures pour assurer la liquidité interbancaire et bancaire : des lignes sont ouvertes pour que les banques puissent se refinancer avec des titres en garantie, qui au début sont de bonne qualité (comme l’exige habituellement une banque centrale) mais avec le temps deviendront de moins en moins sûrs.

Les mesures prises au coup par coup et de manière non coordonnée au niveau mondial ne suffisent pas du tout à rétablir la confiance. En fait aucun dirigeant de banque ne sait évaluer et, pire, ne comprend les expositions au risque de son propre établissement et encore moins celles de ses confrères. Cette opacité est renforcée par les  » paradis fiscaux Â Â» qui empêchent tout contrôle sur les activités les plus risquées de nombreux opérateurs.

C’est alors que le Secrétaire au Trésor H. Paulson laisse tomber la banque Lehman Brothers(1) attaquée en bourse et menacée de cessation de paiement (mi septembre 2008). La panique s’installe, car le cauchemar de la faillite d’une banque se matérialise tout à coup. Cette fois-ci on peut être sûr qu’aucune banque ne prêtera à une autre.

Tout à coup conscient de la bévue, le gouvernement des Etats-Unis sauve l’assureur AIG, qui allait aussi se déclarer en cessation de paiement. Mais il en faudra beaucoup plus pour restaurer la confiance entre banques.

Les plans successifs vont finalement permettre de sauver le système bancaire grâce à des mesures de nature et d’ampleur tout à fait exceptionnelles. La Banque d’Angleterre, puis la BCE, qui sont de plus en plus réticentes à accepter en garanties de leurs prêts des titres de moins en moins sûrs, demandent aux gouvernements d’intervenir. Le premier, Gordon Browns avait nationalisé la banque Northern Rocks. En Octobre 2008, les gouvernements européens garantissent qu’aucune banque ne fera faillite, quitte à nationaliser partiellement. Un peu plus tard une garantie des prêts interbancaires se met en place. Les Etats-Unis suivent plus ou moins sur la même ligne. La confiance se rétablit peu à peu. Pour certaines banques on a du se résoudre à un cantonnement des  » actifs toxiques Â Â» dans des structures de défaisance.

Au moment où nous écrivons ces lignes, le système bancaire, et, plus largement, le système financier, semblent sauvés du désastre. Il reste que tous les dirigeants, qui sont passés au bord du gouffre, passent d’un extrême à l’autre. Ils adoptent une attitude très frileuse vis-à-vis du risque, et refusent beaucoup plus facilement toute demande un tant soit peu risquée. Les anticipations s’étant renversées, les possibilités de remboursement des crédits apparaissent moins solides, d’où une augmentation des refus. Par ailleurs, pour celles dont le bilan s’est dégradé par diminution de leurs actifs (à cause des pertes comptables évoquées plus haut), le volume de prêts possibles diminue mécaniquement à cause du ratio de solvabilité qui lie les deux.

Ces restrictions du crédit vont aggraver la crise dans le secteur réel

 

Le développement de la crise dans le secteur réel

La baisse des bourses et la médiatisation des problèmes du secteur financier ont introduit un climat beaucoup moins optimiste qui, à lui seul, altère la confiance des ménages et des entreprises qui, de nos jours, est un ingrédient indispensable de la croissance. Mais c’est la restriction du crédit décrite plus haut qui va précipiter la crise.

Il faut bien réaliser ce que signifie  » moins de crédit Â«Â . Car l’économie mondiale est une économie d’endettement. Le désendettement signifie que des acquéreurs potentiels de biens immobiliers vont renoncer à leur projet faute de pouvoir obtenir le prêt principal ou le prêt relais indispensables. Il signifie que les consommations de biens durables ou semi-durables tels que les automobiles ou les appareils électroménagers, grandement financés par le crédit, vont être amputées. Dans certains pays où l’endettement des ménages allait très loin, même pour des consommations courantes (Etats-Unis, Royaume-Uni), la restriction sera brutale. On peut prévoir un choc de consommation négatif important aux Etats-Unis, qui aura des conséquences dans le monde entier étant donné leur statut de  » consommateur en dernier ressort Â«Â .

Ces chocs de consommation se répercutent sur les entreprises. Le secteur immobilier et de la construction se retourne dans le monde entier, puis le secteur automobile, en attendant les autres.

De plus, les restrictions de crédit s’appliquent aussi aux crédits d’investissement et de trésorerie aux entreprises. Celles-ci commencent à avoir des difficultés de trésorerie ou a minima de financement de leur croissance. Dans un contexte de moindre consommation, elles réduisent la voilure. Elles embauchent moins ou décident du chômage technique ou des plans sociaux.

La boucle est bouclée. Le moral des acteurs baisse dans un contexte toujours marqué par une énergie chère et une stagnation ou une baisse du pouvoir d’achat. La spirale récessive est enclenchée.

 

Les leçons à tirer de cette crise

1) Sans l’intervention très vigoureuse des pouvoirs publics, elle se serait déjà transformée en catastrophe économique. Les faillites bancaires en série conduisent à une dépression extrêmement rapide comme cela a été vu en occident en 1929 et en Indonésie en 1998.

 

2) Cette crise sonne le glas de la dérégulation bancaire et financière. Seuls les irréductibles peuvent nier que l’autorégulation des marchés financiers est un mythe.

 

3) Elle montre les dangers de la mondialisation financière ; cela avait déjà été constaté en 1998 puisque la crise du Baht thaïlandais s’était propagée en Russie puis en Amérique du Sud. Mais cette crise n’avait pas touchée assez fortement le cÅ“ur du système (Wall Street et la City) pour que la prise de conscience se fasse.

 

4) Elle montre les dangers du mélange des genres : la non séparation des activités financières et bancaires conduit au risque systémique ; la raison centrale pour laquelle les Etats sont intervenus c’est la peur de la ruée des détenteurs de comptes à vue vers les guichets, ruée dont on sait qu’elle conduit à la catastrophe puisque les banques n’ont pas les moyens de faire face aux demandes de retrait. Mais du fait des mélanges des activités les Etats doivent garantir aussi des activités financières de spéculation ; l’aléa moral est total : les Etats vont devoir socialiser des pertes entièrement liées à des activités de marché à risque.

5) La crise met en évidence le danger des règles comptables (imposées par les anglo-saxons il y a quelques années) qui imposent la valorisation des actifs  » au prix du marché Â«Â . Cette règle tourne au cercle vicieux quand le marché est baissier. Le bilan se dégrade mécaniquement, ainsi que les ratios prudentiels, faisant baisser encore plus le cours de bourse.

6) L’économie réelle est dépendante du secteur financier. Une crise dans ce dernier ne peut que déboucher sur une dépression générale



(1) On ne saura jamais pourquoi les autorités américaines ont pris cette décision. Probablement ils ont cédé aux pressions des ultra-libéraux qui, comme en 1929, prônent de laisser agir le marché, au risque d’un cataclysme.