Fiche N°8 : Inflation et liquidité

Lorsque les prix augmentent, la masse des liquidités augmente en général aussi. C’est que lorsqu’on échange la même quantité de biens à un prix supérieur, une quantité plus grande de monnaie s’échange aussi. Cette corrélation évidente entraîne une idée reçue, devenue un dogme, selon laquelle la cause principale, sinon unique, de la hausse des prix, est la hausse de la masse des liquidités monétaires(1). Il en résulte qu’à l’inverse toute hausse des liquidités entraînerait une hausse des prix. Nous voulons discuter cette affirmation et montrer qu’on peut avoir croissance des liquidités sans inflation.

Tout d’abord il importe de rappeler que la notion de liquidités au niveau macroéconomique est difficile à définir (voir fiche N°7). Nous supposerons dans la suite qu’elle est mesurée par l’agrégat monétaire M1, qui additionne tous les moyens de paiement (billets et comptes à vue).

Ensuite personne ne peut contester qu’il n’y a plus de hausse notable des prix dans les pays occidentaux depuis près de 20 ans, alors que la masse monétaire M1 augmente régulièrement. Mais le dogme précise alors que ce sont les hausses  » excessives  » qui provoquent une hausse des prix également excessive. En particulier, il range dans la catégorie  » excessive  » toute génération de monnaie ex-nihilo. Ce caractère  » excessif  » étant hautement subjectif, il faut aller plus loin dans la réflexion (voir le dossier  » Inflation  » sur le site pour plus d’informations).

Commençons par une évidence : sur tous les marchés les prix sont fixés par les vendeurs (côté offre) et non par les demandeurs (côté demande). Ce qui déclenche la hausse des prix ne peut qu’être une action de l’offre. Une hausse des prix par les vendeurs peut être motivée par une hausse des prix de revient, par une impossibilité de faire face à la demande à un prix plus bas (rationnement par le prix) ou par un désir d’augmentation unilatérale des marges.

En ce qui concerne la hausse des prix de revient, ceux-ci sont soit les prix de vente des produits intermédiaires, soit le coût des matières premières. Dans le premier cas, on est ramené aux deux autres causes de hausse. Dans le dernier cas, la hausse est difficile à éviter et n’a pas une cause monétaire.

En ce qui concerne le rationnement par le prix, il intervient lorsqu’il y a impossibilité technique de répondre rapidement à la demande.

Enfin, un désir unilatéral d’augmenter les marges ne peut être satisfait que si la concurrence est insuffisante.

Ces deux dernières conditions sont satisfaites ensemble lorsque tout un secteur ne peut suivre la demande, la concurrence alors disparaît et ne fait plus pression sur les prix.

On remarque que les mécanismes ci-dessus ne font pas intervenir la monnaie directement. Quel est donc son rôle ? D’abord, s’il y a hausse des prix pour une quelconque des 3 raisons ci-dessus, et comme nous l’avons indiqué en introduction, il faut plus de monnaie pour assurer le même volume de transactions. Une génération de monnaie est donc nécessaire pour valider la hausse des prix, sinon il y aurait baisse des transactions. Dans ce cas, l’augmentation des liquidités n’est pas la cause de la hausse des prix, elle en est au contraire la conséquence.

Ensuite, si la génération monétaire est supérieure à cette  » validation « , que vont faire les agents économiques ? Face à un supplément de liquidité, un consommateur ou une entreprise peut soit épargner (ce qui résorbe directement l’excédent de liquidité), soit acheter plus. Il n’a aucune envie ni aucun moyen direct de faire monter les prix. Comme on vient de le voir ce sont les vendeurs qui déterminent les prix. Les liquidités supplémentaires ne sont donc dangereuses que si et seulement si l’offre ne peut ou ne veut pas suivre la demande. Dans le contexte actuel où les moyens de production (notamment dans les services où il suffit d’embaucher) sont loin d’être saturés et où la concurrence est généralement très vive, le risque est donc nul sauf dans certains secteurs spécifiques comme l’immobilier.

Dans ce dernier secteur, il y a en fait un déséquilibre patent entre l’offre et la demande. Ce déséquilibre est aggravé par un endettement facile, les taux d’emprunt étant très bas et les banquiers accordant des durées d’emprunt très longues. Cette demande potentielle importante ne peut être satisfaite, donc les prix augmentent et la demande est rationnée.

Cette masse importante d’emprunts génère donc une monnaie qui est inflationniste dans le secteur immobilier mais ne l’est pas dans les autres secteurs grâce à la concurrence et au niveau suffisant de l’offre.

L’exemple du secteur immobilier pourrait être également appliqué au cas d’inflation des autres actifs (notamment les actifs financiers).

Pour conclure, la croissance des liquidités n’est pas, en général, la cause de la hausse des prix. Au contraire, elle est nécessaire à la croissance économique. Elle n’est pas inflationniste sous deux conditions : que les capacités de production ne soient pas saturées, et que la concurrence soit suffisante pour étouffer les hausses de prix motivées par une envie de profit supplémentaire.

Concrètement une politique monétaire active doit donc être accompagnée d’une politique visant à éliminer les goulots physiques et les marges injustifiées, seules causes réelles de l’inflation.


(1)  » L’inflation est toujours un phénomène monétaire « , Milton Friedman,  » La monnaie et ses pièges « , Dunod, 1993



4 commentaires pour “Fiche N°8 : Inflation et liquidité”

  1. « Les liquidités supplémentaires ne sont donc dangereuses que si et seulement si l’offre ne peut ou ne veut pas suivre la demande »
    L’offre ne pourra plus suivre à l’avenir. Nous avons passé le pic pétrolier, la production de pétrole va au mieux rester constante durant cette décénnie et baissera inéxorablement. Or croissance économique est synonyme de plus d’énergie requise. Comme il y en aura moins, l’offre NE POURRA PLUS suivre la demande.
    Une croissance économique infinie sur une planète de taille finie était condamnée d’avance, c’était juste une question de temps. On y est…

  2. @Mat
    Vous voyez à long terme. Il est impossible de prouver que cette prévision est certaine, car il peut d’ici là se passer plein de choses que nous ne pouvons prévoir aujourd’hui.
    A court terme, il est clair que l’offre dépasse actuellement la demande.

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