La dette publique est-elle un fardeau sur le dos des générations futures ?

Le niveau de la dette publique française pose aujourd’hui de nombreux problèmes qui s’aggravent chaque année. Les gouvernements successifs semblent de plus en plus proches d’une impasse et ou d’un mur. Ils semblent être condamnés à repousser en permanence les échéances et à faire peser sur le dos des générations futures le fardeau de cette dette publique. Cet argument marque évidemment nos consciences. Mais que veut-il dire exactement ? Plus généralement, les débats actuels ne sont-ils pas obscurcis par des confusions et des omissions conduisant à une approche passionnelle du problème ? Ne sommes-nous pas aveuglés par la puissance des dogmes dominants ? Une fois quelques nécessaires clarifications apportées, ne peut-on imaginer des voies innovatrices pour alléger ce fardeau ?

 

1 Les enjeux

Les enjeux objectifs d’une dette publique excessive sont de plusieurs ordres :

– politique européenne : la France ne tient pas les critères du pacte de stabilité et ne va pas les tenir dans les prochaines années.

– politique et dynamisme économiques : l’Etat ne peut plus engager de dépenses sérieuses d’investissement et d’infrastructure ; il ne peut plus soutenir les dépenses de santé alors qu’il s’agit d’un secteur économique d’avenir (vieillissement de la population et sophistication des soins) ; il ne peut plus jouer son rôle de stabilisateur et encore moins de  » dynamiseur  » en cas de perte de confiance et de dépression, ce qui alourdit une ambiance économique déjà morose

– justice sociale : l’Etat et les collectivités publiques consacrent près de 50 milliards d’euros au paiement des intérêts qui rapportent aux épargnants, aggravant ainsi les écarts entre les revenus du travail et ceux du capital, avec pour conséquence de réduire parallèlement les dépenses sociales

– gestion opérationnelle, préjudiciable pour les fournisseurs de l’Etat : en période de tension financière, les administrations paient mal leurs fournisseurs et tiennent difficilement leurs engagements.

Un rappel de quelques chiffres, aujourd’hui bien connus, permet de situer le débat. La dette publique se définit comme la dette de l’Etat et des administrations publiques (nationales et territoriales) y compris la dette des organismes de  » sécurité sociale  » (maladie, prévoyance, retraites). Les engagements liés aux retraites futures ne sont pas compris dans cette notion de dette (en langage comptable, ce sont des engagements hors bilan). Or ces dépenses sont aujourd’hui certaines, vont s’accroître du fait des départs massifs en retraité et vont évidemment toutes choses égales par ailleurs aggraver le déficit, et ce de manière substantielle.

Le traité de Maastricht puis le pacte de stabilité d’Amsterdam limite cette dette publique à un taux de 60 % du PIB. A fin 2003, la dette publique française est de 980 milliards d’euros, soit 63 % du PIB ; elle représente par habitant un montant de 16 000 euros. Pour 2003, elle coûte à l’état et aux collectivités un montant d’intérêt de 47,3 milliards d’euros (soit près de 70 % du déficit public qui se monte à environ 70(1) milliards d’euros), alors que les taux d’intérêt sont historiquement très bas(2). Concernant l’Etat, le poids des intérêts de la dette est devenu le deuxième poste budgétaire.

A titre de comparaison, la dette publique était en 1985 de 163 milliards d’euros, soit 22% du PIB. Elle a varié entre 15 et 30 % du PIB de 1960 à 1980(3).

 

2 Quelques clarifications nécessaires

La dette publique, dette envers les générations futures ?

Raisonnons d’abord en économie fermée. La dette publique est l’endettement d’une partie des agents économiques français (l’Etat et les administrations, dans la suite nous dirons l’Etat pour alléger) auprès d’autres agents économiques, créanciers de l’Etat. Ces créanciers sont principalement les institutions financières et les ménages qui détiennent des obligations d’état, des bons du trésor et autres instruments financiers. Si la dette se transmet, les créances aussi ; toutes choses égales par ailleurs, les générations futures verront donc des administrations publiques endettées et disposeront des créances en contrepartie. Au total, les dettes et les créances en question s’annulent…Si dire que la dette publique est un poids sur les générations futures, c’est penser que ce sont les générations futures qui rembourseront une dette créée par les générations actuelles, c’est inexact, au minimum incomplet. La vérité c’est que les administrations s’endettent aujourd’hui auprès de créanciers qui disposent dans leur patrimoine de ces créances, et les transmettent à leur descendance. A l’échéance du remboursement les créanciers recouvrent leurs avoirs…ou les reprêtent. Et c’est ce qui se passe en pratique : la dette est en réalité toujours renouvelée et jamais remboursée, sauf crise des finances publiques, sujet qu’on évoquera plus loin.

NB : En économie ouverte, les choses se compliquent un peu. Les créanciers peuvent être étrangers et la dette publique générer un déficit de la balance des paiements, ce qui peut devenir un vrai problème économique pour une nation, dont l’analyse excède le propos de cet article. Ce problème est déterminant aux Etats-Unis il ne l’est pas en Europe.

 

La dette publique n’est pas la dette nationale ni la dette extérieure

La dette publique est la dette de l’état et des administrations publiques. Les autres agents économiques sont également endettés. L’endettement intérieur total (EIT) mesure une partie de cet endettement (la part qui est obtenue auprès des établissements de crédit ou sur le marché des capitaux, à l’exception donc du crédit inter-entreprises). En 2002, les entreprises pesaient pour 1034 milliards d’euros et les ménages pour 556 milliards d’euros. L’EIT était égal au total à 2551 milliards d’euros. Il a bien sûr pour contrepartie des créances d’un même montant !

La dette extérieure est la dette contractée par les agents français auprès de non-résidents. C’est un élément de la balance des paiements qui n’a aucun rapport a priori avec la dette publique.

 

L’Etat, s’il a des dettes comme les autres agents économiques, détient aussi des actifs

L’Etat va adopter , suite à la Loi Organique sur les Lois de Finance (LOLF) une comptabilité de même nature que celle des entreprises qui fait apparaître un compte de bilan. En face des dettes publiques il y a des actifs, un patrimoine. Aujourd’hui, l’Insee évalue le patrimoine de l’état (qui ne devrait être qu’une composante de l’actif du bilan de l’Etat) à 1400 milliards d’euros en 2001, soit beaucoup plus que sa dette de 980 milliards. Par ailleurs, cette évaluation sous-estime considérablement l’actif détenu par l’Etat :

– en excluant le patrimoine naturel, les monuments historiques et les oeuvres d’art. Ces éléments sont difficiles à estimer et parfois d’une valeur inestimable. Comment donner un prix à la montagne Sainte-Victoire ou à la pointe du Raz ?

– en excluant la valeur immatérielle de la qualité des infrastructures de la qualité des soins de la qualité de vie de la qualité de l’éducation … qui font qu’il fait bon vivre en France et pour laquelle les français sont prêts à payer des impôts…

 

Le fardeau des charges d’intérêt.

Si la dette publique n’est pas une dette envers les générations futures il n’en est pas moins vrai que le paiement des impôts actuels et futurs sert en partie au paiement des charges d’intérêt, qui augmentent. Si la dette disparaissait comme par enchantement, il serait possible de réduire les impôts de 47 milliards d’euros soit 800 euros par personne, ou d’affecter cet impôt à d’autres postes de dépenses économiquement ou socialement plus utiles. Il est donc indiscutable qu’une partie des impôts sert à financer les revenus des créanciers de l’Etat. Il s’agit d’un transfert qui ne peut être neutre socialement.

A noter que les raisonnements de nombreux économistes, tendant à démontrer que le déficit public augmente les taux d’intérêt à long terme, ce qui alourdit encore le poids de ces intérêts, ne semblent pas vérifié dans les faits.

 

3 La dette publique est-elle soutenable à long terme ?

La dette publique a des contreparties. Est-elle pour autant soutenable à long terme ?

Les créanciers de l’Etat sont un jour remboursés mais sont prêts à reprêter leur mise, du fait de la sécurité qu’offrent les placements publics …dans une limite difficile à apprécier. Au-delà de cette limite, franchie dans les décennies passées principalement par les Etats des pays en voie de développement, l’Etat entre dans une zone de difficultés sérieuses ; il est en  » cessation de paiement « . S’il dépend en outre de financements extérieurs, il devient dépendant d’organismes exigeant comme le FMI qui lui impose des réformes douloureuses (et parfois inappropriées), permettant de réduire les dépenses.

Quel est ce seuil ? Il est certain qu’il n’est pas de 60%, chiffre arbitraire ne reposant sur aucun fondement économique et d’ailleurs largement dépassé par plusieurs états européens(4), sans conséquence aucune. Ce seuil sera-t-il dépassé dans les années à venir ?

Les projections de la dette publique faites par Roger Fauroux et Bernard Spitz à horizon 2007 conduisent à des taux de déficit compris entre 5 et 7 % du PIB et une dette publique s’approchant des 70 % (la variable principale étant évidemment l’évolution du taux de croissance du PIB) . Ils tirent la sonnette d’alarme : les générations futures seront moins nombreuses et ne pourront financer cette dette. Il est difficile de bien comprendre pourquoi : comme dit plus haut le seul problème est de savoir à partir de quand l’Etat n’arrive plus à  » placer » sa dette, en France ou à l’étranger. En tant que tels les indicateurs de taux de déficit sur PIB et de taux de dette sur PIB ne donnent pas cette information. D’ailleurs la dette publique ne cesse d’augmenter en France depuis des décennies sans que l’Etat ait de vraies difficultés pour se financer…

Les agences de cotation internationales (Standard and Poor’s, Moody…) cotent AAA (la meilleure cotation possible) la dette publique française et ne manifestent pas d’inquiétude. Il est vrai qu’elles intègrent les engagements actuels de l’Etat à contenir la progression de la dette…On pourrait douter de leur lucidité suite aux affaires Enron et autres mais en l’occurrence les comptes publics sont faciles à interpréter et de toutes façons leur avis reste décisif pour le comportement des prêteurs.

Leur raisonnement intègre de nombreux paramètres : la stabilité politique et sociale du pays, la capacité des gouvernements à lever l’impôt, les revenus et leur perspective de croissance, la stabilité monétaire, la dette extérieure, etc.

In fine l’analyse porte essentiellement sur la question de savoir si les français paieront l’impôt qui sert à couvrir les charges d’intérêt (la dette étant elle-même supposée renouvelée). Il n’y a manifestement pas de risque immédiat. En revanche il est bien évident qu’une augmentation permanente de la pression fiscale et de la détérioration des revenus des ménages contributifs pourrait changer la donne. D’autant que l’effet boule de neige a des effets puissants …

 

L’effet boule de neige

L’effet boule de neige est bien connu des économistes : si le taux d’intérêt de la dette est supérieur au taux de croissance (inflation comprise), la dette ne peut qu’augmenter même si le solde public primaire (recettes – dépenses avant charge de la dette) est nul. Un exemple chiffré (simplifié et approximatif) permet de comprendre cette arithmétique : si la dette est de 1000 milliards pour un PIB de 1500 milliards (soit un taux d’endettement de 67 %) alors un taux d’intérêt de 5 % et une croissance du PIB de 2% conduisent à une dette publique de 1050 milliards et un PIB de 1530 milliards soit un taux d’endettement passant à 69 %. Sur une durée de 10 ans le taux d’endettement passe à 89% et la charge d’intérêt représente alors 5 % du PIB !

L’effet boule de neige s’aggrave bien sûr en cas de déficit primaire, ou si le différentiel entre le taux d’intérêt et le taux de croissance s’aggrave. Or on pourrait craindre aujourd’hui une hausse des taux d’intérêt provoqué par la surchauffe de l’économie chinoise et la pression à la hausse du prix des matières premières qu’elle provoque.

Les limites introduites dans le traité de Maastricht sont issues d’un raisonnement visant à éviter l’effet boule de neige. Une dette publique de 60% et un déficit de 3 % restent constants avec des taux d’intérêt de 5%, un taux de croissance de 3% et une inflation de 2 %.

La puissance de l’effet boule de neige fait comprendre l’intérêt de limites à la dépense publique. Les finances publiques obéissent au Royaume-Uni à une règle d’or: les recettes fiscales doivent couvrir, sur un cycle économique, les dépenses de fonctionnement ; seuls les investissements peuvent être financés par l’emprunt. Cette règle semble de bon sens mais elle peut pourtant conduire à aggraver une récession qui s’amorce.

 

L’origine de l’explosion de la dette publique

Dans tous les pays du monde la dette publique a explosé dans les années 1980. Le déclencheur de cette explosion a été l’augmentation du taux d’intérêt américain décidé par le président de la Fed en 1979 pour juguler une inflation qu’il estimait excessive. En France la dette publique est passée de 500 milliards de francs en 1980 à 1800 milliards de francs en 1990. Les déficits primaires sur la décennie se sont montés en moyenne à 30 milliards de francs. L’explosion de la dette a résulté de l’effet boule de neige, d’une puissance considérable du fait de taux d’intérêt alors en moyenne de 10%.

Plus généralement la dette publique explose sous la pression de trois facteurs qui se combinent depuis plus de 20 ans en France et en Europe :

– la hausse des taux d’intérêt

– l’absence d’inflation

– la faiblesse de la croissance

Les trente glorieuses dont on dit souvent qu’elles auraient été marquées par une intervention forte de l’Etat n’ont pas vu la dette publique exploser ; au contraire elle s’est maintenue à moins de 30 % du PIB. Les facteurs précédents jouaient tous dans le bons sens : une forte croissance, des taux d’intérêt réels négatifs et une certaine inflation (mais il faut se rappeler que l’inflation n’a vraiment cru en France que dans la décennie 70 ; donc à la fin des glorieuses).

 

Les stabilisateurs automatiques

Depuis Keynes le rôle des dépenses publiques dans le soutien de l’activité est bien connu. En période de basse conjoncture, comme aujourd’hui, les ménages ont tendance à augmenter leur épargne, les entreprises voyant l’atonie de la demande n’investissent pas et la politique de crédit des banquiers est également réservée. Il ne reste que l’augmentation de l’endettement public pour soutenir l’activité. A défaut, la dépression puis la récession s’installe, aggravant alors l’effet boule de neige. Dit en d’autres termes la croissance suppose la création de moyens de paiement nouveaux. Quand cette création est entièrement issue de l’endettement privé, elle n’est pas au rendez-vous en période de dépression économique. Il revient alors à l’Etat de prendre la relève. Mais cette relève bute aujourd’hui sur son niveau d’endettement…Comment sortir de ce cercle vicieux ? Comment retrouver des marges de manÅ“uvre permettant de stimuler la croissance tout en gérant rigoureusement les dépenses publiques ?

 

4 Une grande méconnue : la création monétaire

La marge de manÅ“uvre la plus évidente, et en même temps la plus méconnue, est la création monétaire. Comme on vient de le voir l’économie ne peut se développer que si des moyens de paiement nouveaux sont créés chaque année. Comme le rappelle l’économiste Antoine Brunet(5)  » Le principal danger qui menace les économies est l’excès d’épargne et son antidote majeur, la création monétaire, est redécouvert périodiquement avec succès par les dirigeants les mieux inspirés. (…) Lorsque la création de monnaie est abondante elle contribue à ce que la demande internationale dépasse la production internationale du trimestre antérieur, de manière à favoriser un taux de croissance significatif et régulier « .

Pendant les trente glorieuses l’Etat a bénéficié de mécanismes de financement monétaire (le  » circuit du Trésor  » et l’avance directe à l’Etat). Depuis 1973 en France, cette création monétaire ne peut se faire que par deux voies principales : l’endettement des agents auprès des banques en contrepartie desquelles celles-ci peuvent créer de l’argent, et les rentrées de devises. L’avance directe de la banque centrale à l’Etat est interdite et souvent considérée (à tort) comme relevant d’une pratique d’Etat autoritaire ou d’un pays en développement (ou les deux). Elle est généralement assimilée à la planche à billets (ce qu’elle n’est pas) et considérée comme inflationniste, alors que la création monétaire d’origine bancaire ne le serait pas(6).

Or il apparaît que la Fed rachète sur l’open market des titres publics en quantité, finançant ainsi indirectement la dette publique américaine et cela gratuitement puisque l’on sait que les profits de la Fed sont distribués à l’Etat. Et sans qu’on constate d’inflation. Il y a donc des voies démocratiques et modernes pour que la création monétaire soit faite sans inflation et au bénéfice de l’Etat.

Il est clair que les mécanismes de création monétaire en France ont évolué entre les trente glorieuses et maintenant, dans un sens qui prive l’Etat de ressources monétaires gratuites. A l’inverse, on peut imaginer des mécanismes financiers et juridiques modernes qui encadrent de manière très stricte cette possibilité. Les enjeux en sont colossaux, à la hauteur de l’effet boule de neige mentionné. Une rapide analyse de la décennie 80 le montre aisément.

Fin 1980, la masse monétaire M1 était de 800 milliards de francs (valeur calculée au mois de décembre en données brutes). Fin décembre 1990, elle était de 1685 milliards de francs . Elle a cru en moyenne sur la période d’un peu plus de 80 milliards par an. Le déficit budgétaire primaire (calculé avant charges financières) s’est élevé en moyenne à environ 30 milliards de francs par an. La dette de l’Etat était de 500 milliards de francs fin 1980. Fin 1990, elle s’élevait à environ 1800 milliards de francs.

Cette explosion se comprend très bien à partir d’un calcul simplifié appliquant un taux d’intérêt moyen constant de 10 % à la dette initiale et aux déficits primaires moyens successifs. Le capital à rembourser devient 800 milliards (500+ 10*30). Les intérêts à rembourser atteignent par le jeu des intérêts composés la somme de 1000 milliards(7). Au total la dette s’élève en fin de période à 1800 milliards.

Ce calcul approximatif suffit largement pour illustrer notre propos. Quels auraient été les effets de la substitution de monnaie d’endettement par de la monnaie permanente en supposant, à titre d’exemple, que la création monétaire est faite par avance non remboursable à l’Etat (et bien sûr non comptabilisée dans la dette publique, on reviendra sur ce point plus loin)?

Le réponse est très simple : la création monétaire (80 milliards par an) aurait financé le déficit primaire (30 milliards par an) et la charge d’intérêt sur la dette initiale (50 milliards par an). La dette de l’Etat serait restée stable à 500 milliards, soit une réduction, sur la période, de la dette publique de 1300 milliards!

 

Une première conclusion s’impose. Si l’on avait adopté (au début des années 80 dans l’exemple traité ici) un mécanisme de création monétaire au bénéfice de l’Etat, la dette publique se serait stabilisée dans cette décennie à son niveau initial de 500 milliards.

Ce raisonnement s’applique également aujourd’hui, avec cependant des effets moins spectaculaires du fait de taux moins élevés. Les enjeux restent considérables. La masse monétaire M1 est environ de 450 Milliards d’euros. Pour être comparable à ce qu’ont connu les Etats-Unis dans ces dix dernières années, sa croissance annuelle devrait être de 6-7% (4-5% en volume et 2% en inflation) soit environ 30 milliards d’euros par an. Sur 10 ans la valeur actualisée de ce flux annuel à un taux de 5% est de 380 milliards d’euros.

Reste à proposer un mécanisme qui encadre parfaitement cette possibilité pour éviter les abus que chacun pourrait craindre. Ce mécanisme serait à proposer dans le cadre de la renégociation prévisible du pacte de stabilité et de croissance, qui mériterait alors son nom : retrouvant un vrai levier de croissance, l’Etat pourrait redynamiser la vie économique, l’activité repartirait rapidement, renouerait avec le cercle vertueux où bonne gestion publique et croissance permettent de contenir l’endettement public.

 

5 Une gestion dynamique de l’Etat pour réduire le fardeau de la dette

Comment éviter les risques d’explosion de la dette publique tout en préservant le rôle de régulateur macroéconomique de l’Etat ? De par sa rigidité soulignée par de nombreux observateurs, le pacte de stabilité ne permet pas d’atteindre ce double objectif. Il est urgent de le remettre en cause et cette préoccupation semble aujourd’hui d’actualité. Pourquoi alors ne pas s’inspirer de la proposition de loi 157, présentée au parlement en 1981 par plus de 40 députés ? L’idée était de présenter le budget de l’Etat en trois volets :

Рun budget de fonctionnement, financ̩ par les recettes fiscales, obligatoirement ̩quilibr̩

– un budget d’investissement financé par l’emprunt

– un budget de croissance, financé par création monétaire et affecté à des dépenses d’intérêt général à spécifier(8), gérées par une agence ad hoc.

Partant de cette idée en la simplifiant on pourrait proposer une présentation du budget en deux volets :

– les dépenses de fonctionnement obéissant à la règle d’or rappelée plus haut, seraient financées par l’impôt exclusivement,

– les dépenses d’investissement et notamment d’investissement à retour économique très longs (énergie, lutte contre l’effet de serre, recherche fondamentale, logements, infrastructures…) seraient financées par création monétaire ou emprunt.

Le montant de la création monétaire autorisée serait présentée lors de la loi de finances en fonction de la croissance désirée et, en tout état de cause, plafonnée dans le pacte européen renégocié à un montant prédéterminé du PIB. Les investissements financés seraient à définir avec soin : il s’agirait de dépenses socialement utiles et difficiles à financer par le secteur privé du fait de durée de retour trop longue.

Cette création monétaire devrait prendre des formes institutionnelles et techniques adaptées, à étudier en détail :

– l’Etat pourrait émettre des  » bons de croissance « , portant intérêt et à durée illimitée  que la BCE pourrait racheter sur le marché.

– l’Etat pourrait cautionner des agences spécialisées émettant des traites ou des instruments de dette escomptables et réescomptables à la BCE

Le raisonnement devrait se faire sur un cycle économique. Les années de vache grasse pourraient permettre de constituer une cagnotte éventuellement utilisée les années de vaches maigres.

La réforme de l’Etat en cours, et notamment la mise en oeuvre de la loi organique sur les lois de finance d’août 2001, devrait permettre à l’Etat et au Parlement de mieux orienter, affecter et maîtriser les dépenses publiques. Il devrait être possible avec les outils en cours de mise en place de maîtriser voire d’annuler le déficit primaire tout en donnant du sens à la gestion publique et en améliorant la qualité du service rendu aux contribuables.

 

Conclusion générale

Pour éviter le Charybde d’une dette publique explosive sans tomber dans le Scylla du malthusianisme antiéconomique, il existe un moyen puissant, à mettre en Å“uvre maintenant, la création monétaire au bénéfice de la croissance. Le risque d’une poussée inflationniste, généralement invoqué, et plus fortement aujourd’hui en raison des tensions sur le prix des matières premières, n’est pas à craindre(9). D’une part la création monétaire envisagée l’est pour financer des dépenses socialement utiles ; elle ne peut être plus inflationniste que la création monétaire faite aujourd’hui à l’occasion des crédits que consentent les banques. D’autre part l’expérience historique montre que le risque déflationniste est bien plus dangereux : c’est lui qui a conduit aux dépressions les plus noires de l’histoire et a mis en péril les démocraties.

 


 

(1) Soit environ 4 % du PIB, et 20 % des dépenses publiques.

(2) Le taux moyen d’intérêt de la dette est de moins de 5 % alors qu’il a dépassé les 10% dans les années 90.

(3) Voir l’annuaire rétrospectif de la France, séries longues, 1948-1988, publié par l’Insee

(4) La Belgique voit sa dette publique dépasser les 100 % tout comme l’Italie et la Grèce. Rappelons par ailleurs que la dette publique japonaise dépasse 140 % du PIB, sans que l’Etat ait perdu sa capacité d’emprunter. En revanche l’économie japonaise a stagné pendant plusieurs années, mais pour d’autres raisons (bilans des banques alourdis de créances douteuses ou irrécouvrables les conduisant à ne plus prêter)

(5) Voir le livre  » Les désordres de la finance « , ouvrage dirigé par D.Plihon, Editions Universalis, 2004

(6) Il s’agit bien sûr d’une idée reçue contraire au bon sens ; la vérité c’est que la création de monnaie bancaire est plus inflationniste que la monnaie gratuite au service de l’Etat pour deux raisons : elle augmente les prix de revient et elle peut être utilisée dans les bulles spéculatives (bourse et immobilier).

(7) On peut reconstituer ainsi la progression de la dette publique :

(8) Ou à la réduction du prélèvement fiscal en période de haute conjoncture

(9) La surchauffe immobilière est un cas particulier, elle pourrait être maîtrisée par un ambitieux programme de création et de rénovation de logements, améliorant l’offre, et, en outre, permettant de réduire la facture pétrolière et l’émission de gaz à effets de serre…