Enron, Parmallat, et bien d’autres. La liste s’allonge des entreprises obligées par les retours de fortune de révéler des comptes falsifiés. Des cabinets d’audit sont traduits en justice. Et pour quelques affaires qui s’étalent dans les médias, combien de fraudes existent sans qu’on les connaisse aujourd’hui, dans des entreprises d’apparence très honorable ?
L’opinion retient que des dirigeants se sont remplis les poches et que les mécanismes de contrôle ont failli. Qu’il nous soit toutefois permis de penser que, dans de nombreux cas, si des contrôleurs de métier ont pu se laisser ainsi abuser, c’est aussi parce qu’une partie des comptes leur échappe, étant cachés dans les livres secrets des paradis fiscaux. On s’aperçoit que beaucoup plus d’entreprises qu’on ne croit, si grandes et si bien gérées soient-elles, disposent de comptes dans ces pays qui font du secret leur fonds de commerce. La justification est facile. Une entreprise peut avoir besoin de versements rapides et discrets, et avoir un ou plusieurs comptes à l’abri des regards est bien commode. D’autre part il n’est pas illégal de prendre des mesures pour réduire les impôts pesant sur les sociétés d’un groupe…
En tout bien tout honneur, bien sûr. Les autres entreprises le font, pourquoi pas nous ? Les choses se compliquent quand on commence à domicilier des filiales dans ces paradis, et que des fonds de plus en plus importants commencent à transiter par ces trous noirs. Là encore, on trouve de bonnes justifications et les dirigeants protestent de leur rigueur. Le problème, c’est que le contrôle par un organisme extérieur devient beaucoup plus difficile, voire impossible. Et lorsque le contrôle faiblit, les fraudes apparaissent. C’est une loi de l’économie difficilement contournable.
Il faut conclure que les comptes doivent rester transparents pour toute autorité de contrôle, a fortiori pour la justice et le fisc. Ceci est tout à fait incompatible avec l’existence de paradis dits « fiscaux » (qui seraient plus justement appelés paradis du secret). Alors ici intervient l’idée reçue qu’on ne peut rien contre les paradis fiscaux. Sauf à leur faire la guerre, ils sont souverains chez eux. Et comme rien n’est plus facile que de transplanter des banques d’un pays à l’autre, on ne peut faire la guerre au monde entier. De même il paraît difficile qu’un pays interdise les paradis à ses ressortissants, car comment contrôler le respect de l’interdiction sans toucher à la libre circulation des capitaux ?
En fait, Bruno Jetin a montré, en traitant d’un autre sujet(1) (la taxe Tobin), qu’il était très facile de mettre les paradis fiscaux au pas. En effet, les banques installées dans ces paradis sont des structures techniquement légères, totalement dépendantes pour leurs opérations des systèmes de messagerie (SWIFT), de compensation et de RBTR (Règlement brut en temps réel), tous systèmes aux infrastructures très lourdes qui sont implantés dans les pays du G7. Sans l’accès à ces systèmes, les paradis fiscaux ne peuvent tout simplement pas fonctionner.
Une grosse entité financière comme l’Europe ou les Etats-Unis pourrait donc parfaitement exiger l’accès aux comptes par des autorités désignées, sous peine de coupure de l’accès aux systèmes de paiements. Une loi en ce sens a été présentée aux USA dans le cadre de la lutte antidrogue, et n’a échoué que pour des raisons politiques, mais cela prouve que c’est techniquement possible.
Une fois de plus, quand on y regarde de près, il n’y a pas de fatalité. Si la volonté politique y était, il n’y aurait beaucoup moins de scandales financiers.
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(1) « La taxe TOBIN et la solidarité entre les nations », Descartes & Cie
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