Petite histoire de la monnaie

Nous utilisons aujourd’hui la monnaie sous plusieurs formes interchangeables à nos yeux : les pièces, les billets et notre compte en banque. Ces trois formes sont apparues successivement dans l’histoire. Et chacune de ces inventions a permis de démultiplier considérablement les échanges et a entraîné le développement économique des sociétés humaines. Les lignes qui suivent résument très rapidement les principaux moments de cette histoire, de manière à en faire apparaître les traits saillants..

1. L’invention de la monnaie

Le troc présente de sérieux inconvénients (qu’il est bien utile de rappeler à ceux qui n’aiment pas le système économique fondé sur l’argent !). En effet pour que le troc ait lieu il faut que les deux personnes disposent au même moment et au même endroit de deux biens symétri­quement désirables (A doit disposer d’un bien que B doit désirer et inversement). Il faut qu’ils se mettent d’accord sur leurs valeurs respectives.

La monnaie (quelle que soit sa forme : graine, coquillage, bétail, lingot de métal) permet de découpler cet échange. A, s’il détient cette monnaie, peut l’échanger dans tous les cas contre les biens offerts par d’autres. Ceci permet en fait une véritable libération de l’économie.

En même temps la monnaie génère de nombreux problèmes dont un essentiel qui n’a pas cessé de faire couler de l’encre : celui de la valeur des choses exprimée en unités monétaires : quel « prix » (quelle quantité de monnaie) B doit il demander à A pour lui céder son bien ?

 

2. Les pièces métalliques

La création de pièces métalliques améliore les choses sur un plan pratique. Le métal choisi doit être assez rare pour avoir une valeur intrinsèque suffisante (les pièces peuvent alors être assez légères) et pour ne pas être produit en quantités trop élevées. Dans ces conditions l’invention de la monnaie métallique (au départ en alliage d’or et argent appelé électrum), si sa valeur est reconnue par tous, facilite les échanges. Elle a également de nombreux avantages pour la puissance émettrice qui peut  :

-forcer l’usage de son numéraire et prélever des impôts sur les opérations de change

-fixer la valeur nominale du numéraire à un niveau supérieur à sa valeur

intrinsèque (ce qu’on appelle le « seigneuriage »)

-se livrer à des manipulations monétaires (l’ancêtre des dévaluations), par exemple en diminuant la quantité de métal,

– décréter tout à coup que la monnaie n’est plus valable et en introduire une nouvelle par une grande quantité de dépenses.

Le Moyen-Age est riche de telles manipulations. Il a accrédité dans la conscience (ou l’inconscience ?) collective le fait que l’autorité politique utilise la monnaie et la politique monétaire pour :

-se constituer des ressources (dites de seigneuriage)

-réduire ses engagements (la dépréciation monétaire réduit la valeur des dettes et l’état, c’est bien connu, est toujours endetté !).

D’un point de vue moins polémique on peut constater que la multiplication des pièces de monnaie de toutes valeurs et de toute nature a facilité les échanges économiques

2. Les billets ou la monnaie fiduciaire

La monnaie métallique présente trois inconvénients : elle est lourde à porter, il n’est pas facile de se protéger de la convoitise quelle suscite et elle se heurte à des limites physiques de production. Les grandes ruées vers l’or (lors de la conquête de l’Amérique du sud au XVI° siècle(1)puis en Californie au XIX°) sont certes mues par des intérêts personnels et des appétits puissants ; elles obéissent cependant à une logique macroéconomique : sans monnaie les échanges ne se font pas et sans échange l’économie « ne tourne pas ».

Néanmoins l’invention des billets ne résulte pas d’un raisonnement macroéconomique. Elle est due à la créativité, au sens de l’observation et des affaires des banquiers et s’est faite en plusieurs étapes.

2.1 Le reçu et la lettre de change

Les banquiers ont au départ une fonction de protection de l’argent qui leur est remis. Ils donnent en contrepartie un reçu. Ce reçu est la preuve pour celui qui le détient qu’il a de l’argent en banque. Ce reçu peut circuler et servir ainsi de monnaie d’échange.

Inventée pour éviter des voyages inutiles à la monnaie métallique, la lettre de change émise par un banquier permet à son bénéficiaire de disposer à un autre endroit et sur une autre banque d’une somme d ‘argent. A, au lieu d’envoyer des pièces de monnaie à B, lui envoie un droit (la lettre de change), obtenu de sa banque X, de retirer ces pièces auprès de la banque Y. Il revient ensuite aux banques de se compenser entre elles les différentes dettes et créances générées par les lettres de change. On comprend facilement que cette compensation nécessite beaucoup moins de transfert de « fonds » que ceux qui seraient nécessaires en l’absence de ce système.

Reçu et lettre de change ne créent pas de pouvoir d’achat : ils facilitent et accélèrent la circulation monétaire, ce qui est déjà un sérieux progrès.

2.2 Le crédit créateur de pouvoir d’achat

Le crédit est aussi ancien probablement que l’organisation sociale. En revanche il revient aux banquiers occidentaux d’avoir inventé le crédit créateur de monnaie d’échange. Sous sa forme historique le crédit revient à transférer un pouvoir d’achat entre le créancier et le débiteur. Pierre prête à Paul un argent dont il se dessaisit.

Les banquiers firent la constatation empirique et statistique qu’ils pouvaient prêter à leurs clients, par le moyen de lettres de crédit, dérivées des lettres de change, des quantités d’argent supérieures aux quantités stockées dans leurs coffres. Il leur suffisait de garantir à leurs clients qu’ils pouvaient à tout instant exécuter leur promesse de servir en pièces sonnantes et trébuchantes les demandes faites. L’observation faite que ces demandes ne représentent qu’une part de leurs encaisses les a conduits à envisager de prêter plus que ces encaisses, créant ainsi à l’occasion de ces crédits un pouvoir d’achat ex-nihilo.

La limite du système est connue : en cas de crise de confiance les clients viennent tous récupérer leurs avoirs et la banque ne peut satisfaire à l’intégralité de ces demandes c’est la faillite et les pertes pour les clients…D’où très rapidement la mise en place de règles de gestion limitant ce risque.

2.3 Le billet de banque

Les reçus, lettres de change et de crédit ont toutes la double caractéristique d’être nominatives et échéancées.

L’invention du billet de banque consiste à se soustraire à ces deux contraintes ; un billet de banque est anonyme et sans échéance . Cette invention a été faite par un banquier d’Amsterdam, Palmstruck , en 1656. L’idée est de remettre en échange d ’une lettre de change non pas des pièces métalliques mais des billets échangeables à tout moment contre de l’or

Les banques privées émirent alors des billets de banque, jusqu’à l’institution par les gouvernements d’une banque centrale s’adjugeant le monopole de cette émission, créatrice de monnaie.

Pendant des siècles, les billets de banque sont convertibles en or ou en argent (ou les deux, régime du bimétallisme au XIXème siècle en France). Ils deviennent inconvertibles dans les périodes de crise ou de guerre. Ils le sont maintenant dans le monde entier, depuis la démonétisation de l’or, en 1973. Les billets deviennent alors une monnaie complètement fiduciaire, leur valeur ne reposant que sur la confiance collective.

3 La monnaie scripturale

Les techniques comptables évoluant, les banquiers s’aperçurent qu’il était possible de retrouver une capacité de création monétaire (perdue du fait du monopole étatique de l’émission de billets) en franchissant un pas de plus dans l’abstraction.

Quand un client vient demander à son banquier un crédit de 100 et dans la limite de certains ratios de gestion (essentiellement, la nécessité de conserver auprès de la banque centrale des réserves obligatoires et de la monnaie sous forme de billets et de pièces, en proportion des compte courants de ses clients) il est possible à ce banquier(2) de créer le pouvoir d’achat correspondant (qui sera détruit à échéance du remboursement du crédit).

La technique est la même que celle décrite ci-dessus au paragraphe 2.2. Comptablement, elle s’exprime simplement : le banquier inscrit à son actif un prêt de 100 et à son passif (sur le compte courant du client) le même montant de 100. Quand le client utilise l’argent  de son compte courant pour ses dépenses il fait circuler cette monnaie créée ex nihilo.

La monnaie scripturale représente aujourd’hui en France plus de 85 % de la masse monétaire, et plus de 80 % en Europe.

Le « seigneuriage » bancaire : on a vu plus haut que l’état bénéficiait des revenus du seigneuriage lors de la création de pièces et monnaie qui sont égaux à la différence entre le coût de fabrication de ces pièces et billets et leur valeur faciale. Les banques, qui créent de la monnaie en contrepartie de crédit ou de devises, disposent des revenus financiers (les intérêts, nets des pertes liées au non-remboursement) issus de ces prêts. Mais on ne peut pas dire qu’elles disposent pour leurs besoins propres des montants de monnaie créée : cette monnaie n’est pas une recette ou un produit comptable.

Bibliographie sommaire

M.Aglietta et A.Orléan, La monnaie entre violence et confiance, Seuil, 2002

F. Crouzet, Histoire de l’économie européenne, 1000-2000, Albin Michel, 2000

B. Daste , Comprendre les mécanismes monétaires, les éditions d’organisation, 1976

B.Daste, La monnaie et son histoire, Les éditions d’organisation, 1976

G.Galand et A.Grandjean, La monnaie dévoilée, L’Harmattan, 1976

G.Le Rider, La naissance de la monnaie, PUF, 2001

 

Annexe 1

 

Innovation

Siècle

Pays

Banque

11e s.

Italie

Sociétés commerciales

12e s.

Italie

Lettre de change

13e s.

Italie

Comptabilité en partie double

14e s.

Italie

Assurance contre le risque de mer

14e s.

Italie

Endossement des lettres de change

16e s.

Anvers/Europe du Nord

Société par actions

16e s.

Angleterre

Escompte des effets de commerce

16e s.

Europe du Nord

Bourse

16e s.

Anvers

Chambre de compensation

17e s.

Amsterdam

Billet de banque

17e s

Amsterdam

Banque centrale

17e s.

Angleterre

Système financier, marché des changes

18e s.

Europe du Nord (Amsterdam et Londres)

Référence : F.Crouzet (2000)

 


 

(1) A l’époque de Colomb l’Europe ne dispose que de 90 tonnes d’or pour ses échanges, on évalue à plus de 100 tonnes ce qui va traverser l’Atlantique pendant les 50 ans de  conquête.

(2) Cette création de monnaie scripturale a aussi lieu à l’occasion des dépôts de devises. Quand un particulier vient « changer » des dollars contre des euros, le banquier crée les euros désirés.