Monnaie permanente et déficit public

Le but de cet article est de clarifier et de préciser les relations qui peuvent exister entre création de monnaie permanente, dette et déficits publics. La question est d’actualité. C’est ainsi que le ministre des finances allemand, Théo Waigel, a souhaité fin mai 1997, utiliser la monnaie créée par une réévaluation à hauteur de 30 Milliards de DM du stock d’or de la Buba pour réduire le déficit public, provoquant ainsi une vive réaction de la Buba(1), l’obligeant à reporter cette mesure en 1998.

La monnaie permanente est-elle la voie royale pour réduire les déficits publics? Nos propositions sont-elles équivalentes à la relance keynésienne par le déficit budgétaire? Souhaitons- nous la « monétisation » du déficit (proscrite par Maastricht et honnie des financiers)? Après avoir situé les enjeux financiers et économiques de ces questions, nous analyserons l’impact de la création de monnaie permanente sur dette et déficit publics, en fonction des diverses modalités concevables. Nous discuterons ensuite de la question de la monétisation du déficit public et des critères de convergence du Traité de l’Union Européenne (T.U.E.). Nous terminerons l’article par l’exposé de notre position sur la manière d’injecter de la monnaie permanente en Europe dans le contexte économique actuel.

 

1. Déficit et dette publics : les enjeux

Tout le monde connaît les enjeux politiques : les critères de convergence sont au centre de la construction de l’Euro. Comment interpréter les critères : de manière rigoureuse ou en tendance? Faut-il et peut-on décaler la date de mise en application de la monnaie unique prévue par le Traité? Quels sont les pays qui peuvent faire partie du « premier cercle »? Indépendamment de ces questions politiques essentielles, il faut bien rappeler que les enjeux financiers et économiques sont considérables. Afin de les visualiser on peut faire un petit calcul relatif au cas français sur la décennie 1990.

Fin 1980, la masse monétaire M1 était de 800 milliards (valeur calculée au mois de décembre en données brutes). Fin décembre 1990, elle était de 1685 milliards . Elle a cru en moyenne sur la période d’un peu plus de 80 milliards par an. Le déficit budgétaire primaire (calculé avant charges financières) s’est élevé en moyenne à environ 30 milliards par an (voir INSEE (2)). La dette de l’Etat était de 500 milliards fin 1980. Fin 1990, elle s’élevait à environ 1800 milliards. Pour simplifier la présentation et le raison¬nement, on se contentera ici d’un modèle approximatif en expliquant l’évolution de la dette publique par application aux déficits primaires moyens successifs d’un taux de 10 %.

On peut reconstituer ainsi la progression de la dette publique:

On peut remarquer que les 1800 milliards se décomposent en 500 milliards de dette initiale, en 300 milliards de déficits ultérieurs et en 1000 milliards d’intérêts. L’écart entre un calcul rigoureux et celui proposé ici provient du fait que les déficits et les taux n’ont pas été constants sur la période. Cette approximation suffit néanmoins largement pour illustrer notre propos. Quels auraient été les effets de la substitution de monnaie d’endettement par de la monnaie permanente en supposant, à titre d’exemple, que la création monétaire est faite par avance non remboursable à l’Etat (et bien sûr non comptabilisée dans la dette publique, on reviendra sur ce point plus loin)?

Le réponse est très simple : la création monétaire (80 milliards par an) aurait financé le déficit primaire (30 milliards par an) et la charge d’intérêt sur la dette initiale (50 milliards par an). La dette de l’Etat serait restée stable à 500 milliards, soit une réduction, sur la période, de la dette publique de 1300 milliards!

Une première conclusion s’impose. Si l’on avait adopté (au début des années 80 dans l’exemple traité ici) un mécanisme de monnaie permanente au bénéfice de l’Etat, hypothèse faite ici à titre d’exemple sans préjuger de sa validité économique, la dette publique se serait stabilisée dans cette décennie à son niveau initial de 500 milliards et elle n’atteindrait évidemment pas son niveau actuel d’environ 3400 milliards.

Remarquons cependant que l’effet est particulièrement important dans cette décennie du fait de taux d’intérêt très élevés.

Deuxième enjeu : les mesures prises par la majorité des gouvernements occidentaux pour limiter leur dette publique et réduire leur déficit, voire obtenir des soldes budgétaires positifs ont un coût économique et social très élevé. Croissance atone, baisse du pouvoir d’achat des salariés, baisse des transferts sociaux…(3)

Signalons enfin l’un des enjeux majeurs liés à la montée de la dette publique mais insuffisamment mis en évidence. D. Plihon écrit :

« Il existe un lien direct entre la montée en puissance de la finance globalisée et libéralisée, d’une part, et l’augmentation des déficits publics dans les pays industrialisés depuis le début des années 80 d’autre part. Avec l’alourdissement de la dette les Trésors Publics nationaux ne pouvaient compter exclusivement sur les investisseurs nationaux. il fallait faire appel aux investisseurs internationaux, en particulier les investisseurs institutionnels, pour acquérir les titres publics nationaux. C’est ainsi qu’au départ les autorités publiques ont libéralisé et modernisé les systèmes financiers pour satisfaire leurs propres besoins de financement.(…)Mais, en procédant à une libéralisation totale de la finance, les autorités monétaires des pays industrialisés ont ouvert une boîte de Pandore, faisant surgir la finance spéculative. »(4). Nous reviendrons dans un autre article sur le lien entre globalisation financière, spéculation et monnaie permanente.

Les enjeux étant maintenant posés, nous allons voir l’impact de la création de monnaie sur dette et déficits publics.

 

2. Les effets d’une injection de monnaie permanente sur dette et déficit publics

Avant toute discussion sur l’intérêt économique de telle ou telle modalité d’injection de monnaie permanente, il nous a paru important d’en clarifier les effets comptables qui ne sont pas toujours évidents. Nous avons retenu quelques-unes des modalités possibles sans chercher à être exhaustif.

 

2.1 L’achat par la Banque Centrale d’or de devises.

Quand la Banque Centrale achète de l’ or ou des devises, elle crée de la monnaie sans dette en contrepartie (puisque la contrepartie de la monnaie créée c’est précisément l’or ou les devises…). Or et devises ne sont généralement pas apportés par l’Etat. Cette émission monétaire est donc neutre sur le déficit et la dette publics.

 

22. L’avance définitive de la Banque Centrale à l’Etat; le rachat par la Banque Centrale de Bons sans intérêt et non remboursables émis par l’Etat.

Rappelons que ces mécanismes sont interdits par le T.U.E. et que les statuts de la Banque de France ont été modifiés en 1993 (5)afin de s’aligner sur le Traité.

Sans modification des règles de comptabilité publique l’avance à l’Etat est, vu de l’Etat, une dette, même si elle n’est pas remboursable! Le résultat est le même si le financement se fait par rachat de Bons du Trésor, dont l’émission est comptabilisée dans la dette publique.

Pourtant, à l’évidence, un tel financement ne générant aucun besoin de remboursement ne devrait pas être comptabilisé dans la dette publique. Dans l’hypothèse où il serait rendu légal par révision du T.U.E. et des statuts de la B.d.F. il faudrait donc prévoir une modification des comptes publics sortant cette avance de la dette et des critères de convergence.

Par ailleurs, comme on l’a montré ci-dessus, une telle avance étant sans intérêt, elle permet de réduire les frais financiers de l’Etat. Elle contribue donc à la réduction du déficit public.

 

2.3 Dotation directe de la Banque Centrale aux citoyens.

C’est le mécanisme proposé par J.M.Jeanneney (6) . A l’actif de la Banque Centrale est créée une ligne intitulée « émissions faites en application de la loi du.. », au passif se fait la dotation (tout comme les billets de Banque en circulation sont au passif de la Banque mais jamais remboursés). Dans ce mécanisme tout se passe au niveau de la Banque Centrale : il est donc sans effet sur la présentation de la dette et du déficit publics. Economiquement il est cependant équivalent à une baisse de l’impôt sans augmentation du déficit!

 

2.4 Réévaluation d’actifs détenus par l’Etat ou par la Banque Centrale.

L’initiative de Théo Waigel a mis ce mécanisme sous les feux de la rampe. Quand la Banque Centrale réévalue son stock d’or, elle fait un bénéfice exceptionnel. L’Etat actionnaire peut s’octroyer une distribution de dividendes à due concurrence. Dans ce cas l’opération réduit le déficit public.

Si l’Etat faisait dans ses propres comptes une réévaluation d’actifs (par exemple la réévaluation des titres d’une entreprise publique) il générerait immédiatement un bénéfice exceptionnel et une réduction de son déficit.

 

2.5 Financement par la Banque Centrale d’un organisme public.

Afin de respecter les contraintes du T.U.E. on pourrait procéder par le biais d’un établissement public de crédit qui serait financé par la Banque Centrale. Si c’est par le biais d’une avance non remboursable, il faudrait évidemment, comme évoqué ci-dessus, ne pas intégrer cette dette dans le calcul de la dette publique. On pourrait aussi imaginer des montages plus complexes : financement par prêt bancaire classique mais avec garantie de l’ Etat; bonification de 100 % des taux d’intérêt; prise en charge de la bonification par création monétaire. Dans cette hypothèse, la garantie de l’Etat doit bien sûr être sortie du calcul de la dette (toute mise en jeu de la garantie serait en effet financée par création monétaire). Sous réserve de ces règles comptables ce financement permettrait d’aumenter les ressources financières publiques sans impact sur la dette publique.

 

2.6 Synthèse

Ces quelques exemples montrent que dans la variété des mécanismes imaginables se dessinent quelques constantes.

Dans la majorité des cas, la création de monnaie permanente permet d’augmenter les ressources financières publiques sans peser sur la dette publique ou, symétriquement de financer un niveau constant de dépenses publiques en réduisant la dette publique, donc la charge financière et le déficit qui en résulte.

Les schémas proposés n’ont en revanche dans leur grande majorité pas d’impact direct sur le solde primaire, ce qui est logique la monnaie étant essentiellement un élément de bilan et non de compte de résultat. Seule la réévaluation d’actif peut avoir un impact sur ce solde primaire.

Enfin, dernière conclusion, essentielle pour notre propos : la création de monnaie permanente peut se faire sans déficit budgétaire. C’est l’un des modes du financement de l’Etat, avec l’impôt et l’emprunt. Comme les deux autres modes son usage ne suppose pas a priori que les dépenses courantes soient supérieures à ces recettes. La création de monnaie permanente ne peut donc en théorie être assimilée à la création d’un déficit budgétaire.

 

Remarque :

Certains économistes ne voient dans la monnaie permanente que des manipulations comptables sans grande influence sur le réel. La dette publique étant quasi-permanente; son niveau n’aurait que peu d’effet économique contrairement à ce qu’affirme la pensée unique. Par ailleurs il faudrait, au plan économique raisonner en consolidant les comptes de l’Etat et ceux de la Banque Centrale. Voici ce que nous a écrit l’un d’entre eux :

« Imaginons deux situations qui seraient identiques sauf en ce qui concerne la dette de l’Etat et le montant des avances de la Banque à l’Etat. Le bilan consolidé Etat-Banque serait le même.(…)La dette de l’Etat serait plus faible mais les créances de la banque sur le reste de l’économie le seraient aussi du même montant. L’Etat aurait moins d’intérêts à payer, mais la Banque dont les bénéfices sont versés à l’Etat recevrait moins d’intérêts(…)Seuls des citoyens mal informés pourraient croire que l’une est financièrement plus grave que l’autre. (Je reconnais cependant qu’en politique les apparences peuvent jouer et que c’est cela la vraie raison de l’opposition des financiers aux avances à l’Etat). »

Quand on consolide les comptes de l’Etat et de la Banque Centrale le recours à la monnaie permanente a un impact important contrairement à ce qu’affirme notre correspondant.

Premier cas : l’Etat se finance par emprunt pour un montant de 100. Le bilan consolidé Etat-Banque voit sa dette s’accroitre de 100.

Deuxième cas : l’Etat se finance par avance de la Banque non remboursable et sans intérêt. Au bilan de la Banque, le poste concours au Trésor augmente de 100 à l’actif ainsi que le poste compte courant du Trésor au passif. La consolidation Etat-Banque fait disparaître les flux entre l’Etat et la Banque. Il reste à l’actif les 100 de disponibilités et au passif une dette « fictive » (comme les billets en circulation) qu’on peut appeler « monnaie permanente ».

 

Deux différences essentielles qui rendent la monnaie permanente d’un intérêt décisif :

1-Le couple Etat-Banque n’a pas à rembourser de dette

2-Il n’a pas à payer de frais financiers

Afin de rendre la situation entièrement équivalente, il faut cependant rajouter que dans le deuxième cas, la monnaie de base augmente de la monnaie créée. Si l’on veut raisonner toutes choses égales par ailleurs, on peut supposer que les réserves obliga¬toires sont augmentées suffisamment pour maintenir la quantité de monnaie créée au même niveau. Mais cela ne change rien au résultat principal : le recours à la monnaie permanente n’est pas du tout un artifice comptable mais a un impact économique certain!

 

3 La monétisation du déficit public.

La monétisation du déficit public a mauvaise presse. Elle donne à penser que l’Etat pourrait recourir à la planche à billets pour boucler son budget, au lieu de lever les impôts nécessaires au financement de ses dépenses encourageant ainsi son éventuelle irresponsabilité et le déficit budgétaire, d’où des risques de fuite en avant, inflationnistes et surtout périlleuses pour la crédibilité et la solvabilité de l’Etat. C’est ce raisonnement qui pousse à condamner et surtout à interdire l’avance directe de la Banque Centrale à l’Etat. J.M.Jeanneney (dans le livre cité ci-dessus) rappelle que cette pratique a été utilisée massivement pendant les deux guerres mondiales. Elle fut suivie de très fortes inflations (multiplication des prix par 20 entre 1939 et 1949, par 5 de 1914 à 1926). C’est pour ces raisons que le T.U.E.interdit cette monétisation.

Notons tout d’abord que l’expression « monétisation du déficit »est légèrement tendancieuse. Ce n’est pas un déficit que l’on monétise ou pas : ce sont des actifs (titres de créances, devises ou autres). Par ailleurs, il est possible de créer de la monnaie permanente sans déficit primaire comme on l’a vu plus haut. Ces deux notions sont donc indépendantes. Mais le T.U.E. et les économistes néoclassiques visent à éliminer la monétisation de tout actif public avec toujours l’arrière-pensée que seule une contrainte très forte de financement peut obliger l’Etat à la rigueur budgétaire, nécessaire, au-delà du problème actuel du remboursement de sa dette, pour qu’il réduise son « train de vie ». Cette baisse des dépenses publiques serait nécessaire pour réduire les charges que subit l’économie du pays et montrer l’exemple aux citoyens, leur rendant ainsi plus acceptables des efforts nécessaires face à l’intensité de la concurrence internationale.

Face à cet argument qui repose sur des fondement historiques sérieux et est inscrit dans la tête et le coeur de la très grande majorité des intervenants sur le marché financier, il nous semble indispensable de proposer une présentation du recours à la monnaie permanente qui soit transparente et soumise au contrôle du Parlement. La vive réaction des médias à l’annonce de la réévaluation du stock d’or de la Buba montre à elle seule qu’il est, de toutes façons, vain dans le contexte passionnel et dogmatique actuel d’espérer « passer sous les radars ». Dans cette optique, l’interdiction du recours « sauvage » à l’avance de la Banque Centrale n’est pas malsaine.

La meilleure solution consisterait à proposer, comme le faisait la proposition de loi 157(7), l’ouverture d’une ligne explicite, d’une dotation de croissance de la Banque centrale à l’Etat, ou à un organisme public ad hoc, dont le montant serait voté dans la loi de finance. Conformément à ce qui a été dit plus haut, cette ligne ne correspondant pas à une dette de l’Etat, n’aura pas à être remboursée. Elle ne serait pas intégrée dans le calcul de la dette publique. Les critères de détermination de son montant, réactualisé chaque année de cette dotation, seraient à préciser dans le texte de loi nécessaire pour mettre en oeuvre cette politique. L’application de ces critères pourrait être confiée à la banque centrale. Leur orientation, exclusivement macroéconomique – ils visent à faire croître la masse monétaire M1 à un niveau compatible avec la croissance désirée (et non seulement estimée par les organismes de conjoncture)- serait de nature à rassurer l’opinion et les marchés. Il serait clair que cette dotation ne vise en aucun cas à pallier une mauvaise gestion (microéconomique) de l’Etat mais au contraire à lui faire jouer dans de bonnes conditions l’un de ces rôles macroéconomiques majeurs : la fourniture à l’économie d’une monnaie gratuite en quantité de suffisante.

 

4. Les critères de convergence du traité de Maastricht

L’article 104 du T.U.E. vise successivement à interdire :

1.La monétisation du déficit public et plus généralement l’accès priviligié des institutions publiques aux institutions financières.

2.La prise en charge par la Communauté ou par un Etat des engagements pris par un autre.

3.Des déficits publics excessifs (ceci étant précisé par un protocole annexé au Traité).

Ces contraintes ont été réaffirmées dans le pacte de stabilité sur lequel les allemands n’ont rien cédé à Amsterdam. Leur justification est facile à comprendre : les Etats signataires veulent éviter les comportements de « passager clandestin » de l’un quelconque d’entre eux qui pourrait être tenté par la facilité (ne pas recouvrir assez d’impôts ou laisser filer les dépenses publiques, « non-mesures » électoralement faciles à prendre) et bénéficier pourtant d’une bonne monnaie et, surtout, du règlement des dettes ainsi contractées par les autres membres de l’Union. Ce raisonnement étant facile à faire par les marchés financiers pouvant craindre une insolvabilité généralisée des pays de l’Union, il est impératif pour la crédibilité du projet de formaliser et de communiquer clairement les règles du jeu permettant d’éviter ces comportements de passager clandestin…

Si la logique de ces contraintes peut se comprendre, leur formulation dans le Traité est excessive, même si l’on se rappelle qu’elle raisonne en tendance. La précision donnée aux chiffres dans les débats actuels est surréaliste comme le dit l’O.F.C.E.(8)en rappelant qu’un dixième de point de P.I.B. représente 8 Milliards de francs. Sur le fond, à savoir le caractère dogmatique des critères de convergence, un seul exemple peut remplacer une longue démonstration : la Belgique et le Luxembourg ont constitué une union monétaire pendant 70 ans. Le cours du franc belge est resté relativement stable dans ces dernières années. Pourtant la dette publique de la Belgique était de 131 % en 1991, celle du Luxembourg de 4,7 %(9).

En fait ce qui compte en matière d’endettement, pour une entreprise privée ou pour un Etat, c’est la confiance qu’ont les créanciers en la capacité de remboursement de leur débiteur. Or les créanciers apprécient cette capacité en fonction de bien des critères (dont par exemple le climat social et sa maîtrise par le gouvernement) et sont loin de s’en tenir au seul niveau du taux d’endettement. D’autre part un « mauvais » indicateur conjoncturel peut cacher une situation structurelle en cours de redressement…Les critères de convergence du T.U.E. n’ont donc pas de sérieux fondements scientifiques. Ils ont aujourd’hui force de traité international, ce qui est bien regrettable, mais c’est pour cette seule raison qu’il faut y faire référence dans le raisonnement.

Outre le fait que ces contraintes sont excessives en théorie, elles sont imposées à des économies atones depuis plus de vingt ans. Seule l’appréciation récente du dollar leur donne un peu d’oxygène. Mais pour combien de temps? P. Artus, par exemple(10), estime que l’Euro subira d’une part des fluctuations de change contre le dollar importante du fait de cycles économiques différents (et d’un manque prévisible de coordinations entre la Fed et la B.C.E.). Il indique également que dès sa naissance, il s’appréciera du fait de demandes asiatiques prévisibles de titres se confrontant à une offre nulle (l’Europe étant globalement une zone prêteuse, en excédent d’épargne). Avant même d’être né, l’Euro traverse clairement une période très difficile. Bien malin qui peut affirmer aujourd’hui qu’il ira à son terme…

On peut donc se demander pourquoi les pays européens se sont laissés imposer ces critères. Il y a deux raisons principales. La première, souvent évoquée, c’est que le peuple allemand n’aurait jamais accepter la perte de sa monnaie nationale sans garantie suffisante que la monnaie de remplacement ait la même « force ». La deuxième c’est qu’ils traduisent bien la pensée unique, autrement dit les dogmes néoclassiques. Le rejet de ces dogmes est donc nécessaire pour pouvoir mener à bien une indispensable renégociation de ces critères. Le recours à la monnaie permanente permet par ailleurs de dissocier complètement les questions, comme on l’a vu. Il devient possible d’adapter de manière réaliste la gestion du solde budgétaire primaire aux impératifs politiques et économiques sans assécher l’économie de la création de pouvoir d’achat ex nihilo dont elle a besoin pour se développer. La monnaie permanente est nécessaire à un Euro de croissance, si c’est bien là la volonté des états européens.

 

5. Financer le remboursement de la dette ou relancer l’économie ?

On peut se demander s’il est préférable, dans la situation actuelle, d’utiliser la monnaie permanente pour réduire la dette publique en accompagnant l’effort de réduction des dépenses publiques actuelles ou au contraire pour permettre une reprise des commandes publiques, en laissant la dette publique à son niveau actuel voire en la laissant croître.

Il est très facile de montrer que le ratio Dette publique/ P.I.B. se stabilise si le solde public primaire (c’est-à-dire le solde budgétaire avant paiement des frais financiers) est au moins égal à : (i-n) . D , où i est le taux d’intérêt apparent de la dette (frais financiers en année t divisés par le stock de dettes en année t-1) , n le taux de croissance et D la dette publique de l’année précédente.

Les critères de convergence du T.U.E. sont bâtis à partir de cette équation, en supposant (très arbitrairement d’ailleurs) une croissance tendancielle de 5% et des taux d’intérêts nominaux de 10 %. Dans ce scénario, le solde primaire nécessaire pour stabiliser la dette à 60 % du P.I.B. est égal à 3% et le solde budgétaire est égal à -3%.

Si le solde primaire est inférieur à ce seuil de stabilisation, il s’en déduit une croissance exponentielle de la dette publique, un effet boule de neige facile à visualiser dans les 15 dernières années. En 1980, la dette publique était égale à 420 Mds, soit 15 % du P.I.B. Fin 1995, elle était de 3200 Mds soit 42 % du P.I.B. Le service de la dette représente en 1995 210 Mds soit 70% du déficit public.

Ces chiffres sont importants, mais il faut bien noter que le niveau actuel de la dette publique en France reste soutenable. Ce qui pose problème ce sont les conséquences économiques des mesures prises traditionnellement pour limiter le déficit à 3% et pour empêcher la dette d’atteindre un jour le seuil fatidique des 60 %.

La solution la plus tentante serait évidemment d’accepter ou de susciter une reprise de l’inflation. Les épargnants et leurs représentants (les gestionnaires de fonds) craignant le recours a cette « solution » défavorable à leurs intérêts, deviennent intraitables vis-à-vis de tout acte ou toute déclaration pouvant suggérer une telle velléité. D’où la politique de crédibilité, les prises de position des gouverneurs des Banques Centrales, souhaitées indépendantes de l’Etat pour mieux garantir les intérêts des épargnants « volés par l’inflation et les dépréciations monétaires »etc.

Autre solution : la réduction des taux d’intérêts. Cette solution n’a pas été retenue en France pendant des années du fait de la politique du franc « fort », en fait du franc arrimé au Mark qui a nécessité des taux d’intérêt élevés. Politique catastrophique à tous les plans : augmentation de la dette publique, mais aussi franc surévalué et découragement de l’investissement privé, ce que l’on a vu dans un de nos bulletins. Aujourd’hui, heureusement, les taux , surtout courts, ont baissé.

Dernière solution orthodoxe pour contenir l’envolée de la dette : l’obtention de soldes primaires positifs. Dans une période de faible croissance ou de récession n’est pas sans conséquences économiques et politiques : ce sont les transferts sociaux ,les revenus des fonctionnaires, les dépenses publiques donc les revenus des entreprises qui les fournissent qui doivent baisser, entraînant en outre un cercle vicieux récessif. La montée de la dette publique a enrichi et donné du pouvoir aux épargnants et ceux qui gèrent leur patrimoine et appauvrit les autres. Est-ce une fatalité comme l’a déclaré l’un des membres du Conseil Monétaire de la Banque Centrale en réunion publique?

La monnaie permanente pourrait apporter une nouvelle approche pour contenir la dette publique. Mais il faut remarquer que :

-la dette publique est encore soutenable et peut croître sans problèmes majeurs

– la seule bonne manière de maîtriser la dette publique et d’éviter l’effet boule de neige est de s’assurer d’un taux de croissance suffisant et de taux d’intérêt réels proches du taux de croissance.

C’est dans cette optique que nous préconisons l’emploi de la monnaie perma¬nente. Il nous semble impératif, dans le contexte actuel, de relancer l’activité écono¬mique. Compte tenu du manque de confiance dans l’avenir que manifestent les ménages (que leurs raisons soient bonnes ou non), seul le secteur public (Etat et collectivités publiques) peut le faire, même si ce type de politique économique n’est plus conforme aujourd’hui à la pensée dominante. Cette relance doit se faire par une injection de monnaie permanente (ce que Keynes n’a pas précisé) visant à financer des commandes publiques et non à réduire, dans un premier temps, la dette publique. La reprise de la croissance à un niveau suffisant (4 à5%) conduira automatiquement les principaux soldes budgétaires à l’équilibre à terme et la dette à se réduire, comme l’a montré notre simulation (11). Nous renvoyons à un futur article du bulletin pour une discussion sur le rôle économique des déficits publics, qui fait encore couler beaucoup d’encre, contrai¬rement à l’affirmation péremptoire de la pensée économique néoclassique selon laquelle le débat est clos…

Supposons que ce financement soit fait par avance non remboursable de la Banque Centrale à l’Etat (modalité 2.2, voir plus haut) en isolant cette ligne spéciale de dépenses dans les comptes publics et en ne l’incorporant pas au calcul de la dette (en rappelant que ces montants n’ont pas à être remboursés). On pourrait alors présenter une initiative publique de relance qui n’alourdit pas la dette publique. Afin de se plier encore plus aux canons de l’orthodoxie actuelle, on pourrait même isoler ces montants dans le calcul du solde budgétaire courant pour pouvoir communiquer un solde budgétaire « courant » à l’équilibre, si c’est souhaitable, et indépendamment de ce solde le montant des dépenses de croissance.

 

6. Conclusion

Nous avons mis en évidence que l’injection de monnaie permanente ne nécessite en théorie aucun déficit budgétaire, qu’elle pourrait permettre une réduction de la dette publique (car c’est un outil de financement des dépenses publiques qui n’endette pas l’Etat) et une amélioration du solde budgétaire par réduction des frais financiers, toutes choses égales par ailleurs. La monnaie permanente n’est donc pas, en théorie, assimilable à un simple outil keynésien.

Pour autant, il faut bien constater que la situation actuelle, en Europe, de croissance molle et de chômage de masse, nécessite une initiative de relance qui ne peut être que publique. Nous préconisons donc un usage « néo-keynésien » de la monnaie permanente.

En effet, la simple injection dans l’économie des besoins faibles de croissance de M1 en monnaie permanente ne suffira pas à relancer la machine. Il faut donc la compléter par une opération de relance publique financée également par monnaie permanente. La substitution de la monnaie temporaire en circulation par de la monnaie permanente peut se faire simplement : il suffit que l’Etat ne renouvelle pas ces lignes de crédit court terme au niveau souhaité…et bénéficie de monnaie permanente en contrepartie.

La seule véritable objection à cette mesure est bien sûr celle de la contrainte internationale qu’elle soit économique (balance commerciale) ou financière (globalisation financière). Pour le premier point nous ne pouvons que souhaiter une relance au niveau européen (les importations de l’Union Européenne ne repésente que 9 % à 10 % de son P.I.B.). Elle suppose que dès le 1° janvier 1999 les gouvernements se coordonnent pour unir leurs efforts et articuler leurs politiques économiques entre elles. Pour le deuxième point, rendez-vous à un prochain article.

 


 

(1) Voir les articles de J.P. Fitoussi dans la Tribune (02.06.1997) et dans Libération (05.1997)

(2) INSEE. Tableaux de l’économie française. 1995-1996.

(3) Voir le cas de l’Italie, analysé dans le N° 165 (26/06/97) de la lettre de l’O.F.C.E.

(4) Voir La mondialisation financière F. Chesnais. Syros, 1996. Page 109.

(5) Voir le Titre Premier, article 3, de la loi 93.980 du 4 août 1993 modifiée par la loi n° 93.1444 du 31 décembre 1993. Cf La Banque de France et la monnaie. Publication de la Banque de France, 1995.

(6) Voir Ecoute la France qui gronde. Arléa, 1996.

(7) Voir Récession et relance. Tovy Grjébine. Economica,1984.

(8) Voir la Lettre de l’O.F.C.E. N°166, 23/07/97.

(9) Voir l’article de H. Schmidt dans le Monde du 9/11/1996.

(10) Voir La lettre mensuelle de l’Euro, N°2, juin 1997

(11) Voir la note de Chômage et monnaie : combattre le chômage.